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Le « toit » et ses représentations

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Le toit est une représentation mentale, individuelle et collective, que chacun élabore en fonction de ses expériences vécues ou imaginaires et du contexte culturel, social, géographique dans lequel il évolue. Pour se sentir chez soi, suffit-il d’un plafond et de quatre murs ?

Dans une société de droit faisant la promotion de la santé globale des individus, les représentations du toit se normalisent et s’uniformisent. Il devient alors difficile de penser le toit en dehors des limites acquises, apprises
et admises. Tout écart par rapport à cette ou ces normes devient déviance qu’il s’agit d’atténuer ou de faire disparaître. Et lorsque certains d’entre nous (familles nomades, individus en errance, personnes âgées déplacées en maisons de retraite ou personnes démunies sans domicile) ne partagent pas nos représentations normatives du toit, faisons-nous l’effort nécessaire pour nous approcher de leurs propres représentations, parfois si différentes des nôtres ? Qu’est-ce que c’est qu’un toit ? Qu’est-ce qui permet à certains d’entre nous d’indiquer que « chez moi » est le lieu où nous habitons ? Suffit-il d’un plafond au-dessus de sa tête, de murs pour se séparer des voisins et d’un oreiller où poser sa tête pour se sentir chez soi et plus encore content et satisfait d’avoir un logement, un abri, un lieu à soi ?

Le toit est un besoin fondamental
Il est devenu une évidence que le toit s’appuie sur un droit. Le toit est d’abord imaginé avant d’être réel. Ne définissons-nous pas le logement que nous souhaiterions habiter en fonction de certains critères normatifs, positifs et négatifs, dont l’importance varie d’une personne à l’autre, d’une population à l’autre car nous cultivons, parfois sans le savoir, des stéréotypes du logement (pas trop petit, lumineux, dans tel quartier plutôt que tel autre, telle époque de construction, etc.) ?
Par l’importance et la place qu’il occupe dans nos vies, le logement est un espace que nous préférons pouvoir choisir par nous-mêmes en composant à la fois avec le principe de plaisir (idéal du toit) et le principe de réalité (ce qui est concrètement possible). Comment se positionner quand le logement ne peut être librement choisi, voire quand il est imposé par d’autres et subi ? Avons-nous toujours conscience des écarts importants qui peuvent exister entre nos représentations du toit et celles de personnes ou de populations nomades, en errance, hébergées, placées, incarcérées, assignées, sans domicile fixe… ?
Comment habiter alors un habitat contraint quand la réalité vous l’impose, que ce soit un hébergement social normé ou un habitat précaire sous un pont ? Chacun va tenter d’occuper ou de ne pas occuper cet espace à sa manière. Certaines personnes âgées, contraintes de s’installer en maison de retraite, vont reconstituer dans leur chambre et autour d’elles une partie de leur cadre antérieur avec leurs meubles et objets personnels qu’aucun professionnel ne peut toucher ni déplacer.
Des personnes SDF vont se délimiter un toit précaire et défi ni dans un espace géographique précis, sous un pont par exemple, en se constituant un logement avec des objets divers (cartons, toiles…) ; logement dont ils améliorent l’étanchéité et la taille au fur et à mesure du temps. Pour d’autres, le toit est sur soi ou à portée de soi. Il est composé de vêtements accumulés les uns sur les autres, qui constituent un mur entre eux et l’extérieur ou composé de nombreux sacs placés devant eux et délimitant leur espace. Certains n’ont rien d’autre que leur odeur pour créer un mur ou un écran infranchissable entre eux et les autres.

Le toit est un espace privatif
« ici, c’est chez moi ! » est une affirmation qui souligne que le toit est perçu comme un espace de liberté que chacun gère à sa guise et dans lequel il peut faire ce qu’il veut. Il permet de faire une distinction nette entre un dedans et un dehors. C’est le lieu clos de l’intimité dans lequel les autres n’entrent que sur invitation.
Pour certaines personnes qui ont une longue pratique de l’errance et de la rue avec les autres, l’absence d’espace personnel n’est pas toujours un manque à combler par un logement. Elles peuvent ressentir un fort sentiment d’abandon à se retrouver seules entre quatre murs, isolées des autres ; ou se sentir enfermées voire emprisonnées parce que l’hébergement est régi par un cadre et des règles qui ne font pas partie de leurs habitudes de vie. Le sentiment d’être attaché ou dépendant à l’égard de la situation d’hébergement peut les conduire alors à la rupture par la fuite parce que cette situation leur est intolérable.

Le toit est un lieu d’identité
Le logement conforte le sentiment d’appartenance à telle ville, tel quartier, tel immeuble ou telle population. Il défi nit et conforte une identité sociale. Il donne une consistance et une identité propre à la personne ou à la famille qui vit sous le même toit. Comment se reconstruit ce sentiment d’appartenance quand on devient réfugié, hébergé ou relogé ?
Le nouveau toit et le statut d’hébergé qui en découle oblige la personne à abandonner ses repères pour en reconstruire d’autres. Elle peut en ressentir un profond sentiment de perte identitaire et ne pas se reconnaître dans cette nouvelle identité de résident. Le sentiment d’étrangeté qui en découle peut la conduire à perdre pied ou à lâcher prise et à se laisser glisser au lieu de profiter de cet hébergement pour se réinsérer.

Le toit est une continuité de soi
Le logement représente un espace élargi de soi. La manière d’habiter chez soi, de décorer et meubler son logement refl ète bien souvent des caractéristiques de la personne qui occupe cet habitat
ainsi que son état psychologique du moment. Par exemple, le désordre dans lequel vit un adolescent est souvent le refl et du désordre intérieur dans lequel il est à ce moment particulier de sa vie. La personne présentant, du fait de son errance, des difficultés majeures à prendre soin d’elle peut les déplacer sur le logement dans lequel elle est installée, le rendant rapidement sale, désordonné et insalubre.

Le toit est une sécurité
Le logement clos représente un espace de sécurité dans lequel on se sent protégé des dangers provenant de l’extérieur. Il est un lieu apaisant et permet de penser à autre chose qu’à sa sécurité. Or pour les personnes nomades ou en errance, le sentiment d’insécurité (fait de peur, d’angoisse et de stratégies d’évitement) est installé de manière permanente et ne cède pas lors d’un hébergement. Il représente d’ailleurs un point d’inquiétude majeure pour certains SDF qui perçoivent les
hébergements collectifs comme des lieux de dangers et non des lieux de protection.

 

Édith Tartar Goddet
Présidente de l’association protestante pour l’éducation et l’enseignement

Source : Dossier "Un lieu où (s')habiter", Proteste n°139, septembre 2014