C’est une fonceuse, une passionnée, mais qui a appris à ses dépens qu’elle a, comme tout être humain, des limites qu’il faut respecter et qui a appris par la même occasion que les fragilités acceptées peuvent constituer une richesse. C’est une femme pleine d’idéal, sensible à la souffrance des autres et à l’injustice, qui voudrait profondément changer le monde et qui doit lutter avec elle-même pour accepter son impuissance face à tant de situations difficiles.
Découverte des luttes historiques contre les injustices
À quatre ans, elle a annoncé qu'elle serait pasteure, mais c'est à l'adolescence, au moment de l'éveil politique et de la découverte des luttes historiques contre les injustices que s'est précisé ce parcours. En recherche continuelle de sens, elle garde comme fil rouge les valeurs de l'Évangile, qui constituent autant d'ouvertures pour une société apaisée, capable d'un « vivre ensemble » fraternel. Après ses études de théologie, elle part, à 23 ans, à Madagascar avec l’envie d’être utile. « Quel orgueil de penser que les gens ont besoin de nous et que nous allons pouvoir aider », dit-elle aujourd’hui. Cette aventure lui permettra de rompre avec l’adolescence et « d'élargir l'espace de sa tente » dans la rencontre d'un peuple et d'une culture aux aspirations similaires et si différentes. Au retour, après le vicariat, elle devient pasteur de paroisse, une expérience riche dans laquelle elle se donne à fond. Mais avec l’épuisement vient la question du sens : « En paroisse, on passe parfois tant de temps à s’occuper de choses sans importance autour desquelles, pourtant, peuvent se cristalliser des conflits. Il faudrait pouvoir prendre de la distance pour comprendre quels sont les véritables enjeux, mais on est bien seul pour ce travail. » Aujourd’hui, dans son ministère d’aumônier, elle a l’impression de toucher directement à l’essentiel, ces questions de sens que l’on occulte si facilement dans le quotidien.
Une parole politique chrétienne
En 2015, quand la FEP a lancé un appel pour l’accueil de réfugiés syriens, elle a tout de suite, en famille, souhaité y répondre. « Enfin, on pouvait avoir un peu de prise sur le cours des choses, agir contre l'impuissance ». Un engagement lucide : une démarche communautaire est mise en place, pour partager l'accompagnement. « Je ne voulais pas qu’ils deviennent ‘mes réfugiés’ ». Avec deux autres familles, ils ont accueilli Yamen et Tarek chez eux. De cet engagement très fort, elle garde le souvenir d’une vraie rencontre en humanité : « Nous attendions des réfugiés, et ce sont deux hommes qui étaient des fils, des époux, des pères… bref des frères humains, que nous avons accueillis ». Elle évoque aussi la violence que représentent pour ces personnes les rouages de l’administration française. Elle garde, il faut bien l’avouer, une déception de constater que certains paroissiens n’ont pas compris la démarche, étant parfois même dans la désapprobation. Alors que pour Anne-Christine, cet accueil était « une parole politique chrétienne », une parole en actes intrinsèquement liée à sa foi chrétienne. Etre protestant, que serait-ce pour elle ? C’est l'exigence de responsabilité qu'elle évoque tout de suite, une notion qui vient s’inscrire en tension et en complémentarité avec l’idée de grâce, si souvent présente dans sa parole : " Je mesure la grâce d’être dans un milieu protégé" ; ou "C’est une grâce de pouvoir discerner la beauté". Car, fondamentalement, l’Evangile est pour elle de l’ordre de l’accueil, reçu et donné !
Propos recueillis par Isabelle Grellier,
Professeur en théologie pratique, Faculté de Strasbourg