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Georges Dugleux : Quels sont les signes protestants qui peuvent illustrer un parcours de soins ?

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Intervention de Goerges Dugleux lors des Journées nationales de la FEP

Intervention de Georges Dugleux, directeur général délégué de la Fondation Diaconesses de Reuilly, lors des Journées Nationales 2015 de la FEP.

 

Quels sont les signes : j’apprécie cette éclairage phénoménologique (ou, plus simplement l’exercice de relier des observations empiriques entre elles). Je ne suis ni sociologue, ni anthropologue, c’est en qualité de praticien du secteur, depuis trente ans, que je vais essayer de partager avec vous quelques illustrations et observations.

Deuxième remarque liminaire, je vais parler des protestants, en sachant comme vous qu’on ne peut pas en faire un générique. Le protestantisme est pluriel, c’est une de ses forces, mais cela complique beaucoup l’exercice de phénoménologie !

Intervention de Goerges Dugleux lors des Journées nationales de la FEP

Intervention de Goerges Dugleux lors des Journées nationales de la FEP

La première illustration que je vous propose va tourner autour de l’intention protestante, autour du regard porté sur la personne 

L’amour du prochain, amour / charité, amour / compassion, amour / respect, amour inconditionnel : voilà le regard porté. C’est cet amour qui nourrit l’intention. Jusqu’ici, on est plus dans le christianisme que dans le protestantisme. La différence se situe dans le fait que je ne soigne pas en technicien, ni en « sachant », autrement dit je ne soigne pas en « clerc ordonné » : il n’y a pas de clergé dans le protestantisme. Et cela est très intéressant parce que cela peut nous aider à résister au déterminisme, à résister au dogme et son corollaire qu’est l’autoritarisme. Le déterminisme dans le soin est vrai fléau : la science permet un remède, de facto il est prescrit ou dispensé.

Vous voulez des exemples ? L’acharnement thérapeutique, l’antibiothérapie, les radiographies systématiques, le jeunisme sous toutes les autres promesses de jouvence... Est-ce que c’est parce que le bloc opératoire existe qu’il faut obligatoirement opérer cette vielle dame centenaire dont le vœu est de mourir en paix chez elle ? Beau débat en perspective entre les craintifs de la « perte de chance » et les fatalistes du « elle a fait son temps ». Est-ce que ce serait si difficile de lui poser la question ? Combien d’interventions chirurgicales inutiles, voire dangereuses. Combien de médication « à vie » ? Je peux vous assurer que quand je vois une personne qui a une ordonnance de plus de dix médicaments, je m’inquiète pour elle. L’amour, puisque c’est de cela dont je parle, n’est assurément pas proportionnel au nombre de médicament ! Si je me lâchais complètement, je dirais qu’il y a une partie de la pharmacopée qui pourrait s’apparenter symboliquement aux indulgences. Et nous savons tous que c’est leur commerce qui a déclenché la Réforme.

Le protestant est fondamentalement un être libéré, libéré du poids du péché, libéré de la culpabilité, libéré de la fatalité du mal. Son salut est gratuit : grâce seule, sola gracia, chère à Calvin (mais aussi à Saint Augustin, Luther étant lui-même issu de l’Ordre des Augustins…). Il est donc aussi libéré de la composante rédemptrice du service de l’autre. C’est donc un service dont la quantité et la qualité n’ont pas d’importance. Le service est donc une œuvre de reconnaissance : « sauvé pour servir ». Paul écrit aux Ephésiens « Dieu nous a créé pour une vie riche d’œuvres bonnes qu’il a préparées à l’avance afin que nous les accomplissions » (Eph. 2.10).


La deuxième illustration va tourner autour du partage et de la coopération, autrement dit, du « faire ensemble » et du « faire avec »

Faut-il rappeler que l’étymologie du mot huguenot vient de l’allemand Eidgenossen qui signifie confédéré, en référence aux confédérés suisses. Les protestants se confédèrent aussi pour l’œuvre commune. Et ils l’on fait bien avant la loi de 1901 ! Ils se confédèrent pour faire vivre des œuvres, mais ils se confédèrent également sur le plan institutionnel. Pour que le parcours de soin existe, il faut avoir fait le deuil de l’autosuffisante, le deuil de la panacée universelle. Vielle querelle mythologique entre les deux filles d’Esculape, Hygiée et Panacée. Hygiée serait probablement la plus protestante des deux ! Dans la tension, très actuelle, entre parcours de soin et parcours de santé, le protestantisme donnerait une troisième voie qui est celle du parcours de vie.

Par exemple, lorsque vous gérez une maison de retraite vous pouvez dire nous avons un bel EHPAD (et j’emploie à dessein le sigle pour marquer la technicisation panacéenne qui va avec), mais vous pouvez dire aussi, notre vocation est d’accompagner notre prochain âgé. Et cette différence va considérablement modifier l’essence de la maison elle-même, dans un premier cas, ce sont ses quatre murs qui font l’œuvre, aussi bonne soit elle, aussi bien rempli soient-ils, avec des professionnels motivés, des évaluations externes dithyrambiques, des animations tous les jours, des jardins fleuris, bref, une certaine idée de la perfection. Bien sûr, je force intentionnellement le trait, vous avez compris que le signe protestant, c’est de prendre du recul par rapport à l’outil pour se focaliser prioritairement sur la personne. Dans une autre vision, cette même maison de retraite n’est qu’un outil dans un parcours de prise en charge, un moyen, parmi d’autres. Le sujet principal dans l’idée du parcours, c’est le cas unique, singulier de madame M, son nom, son prénom, son histoire, ses amis, son domicile dans lequel elle souhaite rester le plus longtemps possible. Le sujet principal n’est ni l’EHPAD, ni le SSIAD, ni le CLIC, ni l’hôpital, tous ceux-là ne sont que des outils d’accompagnement. C’est pour cela que la Fondation a essayé de lancer le concept de plateforme de service, pour bien montrer qu’il n’y a aucune réponse au-dessus des autres.

Celà est bien différent de la vision mécaniste que nous impose le mirage d’une spécialisation toujours plus poussée de nos activités. Prenons un autre exemple d’actualité : les pouvoirs publics poussent de toutes leurs forces pour que la moitié des interventions chirurgicales aient lieu en ambulatoire. C’est le nouveau veau d’or du moment. Les établissements sont entièrement concentrés sur leur réorganisation pour atteindre cet objectif. Et ils ont raison. Mon propos n’est pas d’aller contre l’ambulatoire. C’est assez pertinent sur le plan médical, économique, fonctionnel. Mais qui va s’occuper des opérés lorsqu’ils vont rentrer chez eux ? Qui va mettre en place les moyens d’accompagnement ? Qui va aider ceux dont la solitude ou les conditions économiques rendent beaucoup plus compliqué ces sorties précoces. En bref qui accompagne le parcours ?


La troisième illustration, en guise de conclusion, va tourner autour de l’éthique

Une éthique du travail : le protestant est (historiquement du moins) plutôt « besogneux » (en référence aux thèses de Max Weber sur L'éthique de la besogne) et en référence à Paul quand il écrit : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus ». Aujourd’hui, le terme de besogne est un peu compassé ; il est de surcroit connoté d’un protestantisme ascétique, d’une forme de norme morale. L’illustration protestante, je la verrais plus aujourd’hui au chapitre des relations au travail (que d’autres appellent gestion des ressources humaines), plus axé sur l’engagement que sur l’obligation, plus centré sur la liberté de pensée, liberté d’expression, liberté d’initiative…, que sur la hiérarchie descendante, plus centrée sur la confiance que sur le contrôle. Ce sont donc des rapports fondés sur la confiance et la transparence qui nourrissent une éthique de gestion qui, tout ne plaçant la personne accompagnée en position centrale, n’a pas peur pour autant d’introduire des éléments économiques, n’a pas peur d’interroger ses pratiques, n’a pas peur d’évaluer ses résultats, n’a pas peur du regard de l’autre.

Une éthique de responsabilité qui permet la prise de risque. Le risque d’aller vers l’autre. Le risque d’initier un parcours (c’est l’accès aux soins), le risque de s’engager sur des voies inconnues (c’est la recherche et l’innovation), le risque d’entrer en dialogue. La prise de risque est inhérente à notre lecture l’Evangile : « Va ! Vends tout ce que tu as et suis-moi ». Ou comme le dit Sœur Myriam : « Aie le sens d’autrui planté en toi comme un aiguillon cas le temps presse. Engage toutes tes ressources de volonté, de courage et d’intelligence pour alléger le fardeau de tes frères. ». Cette responsabilité nous amène à rendre vivante la recherche éthique dans une culture de débat, de contradiction, de questionnement permanent,  de distanciation avec la pensée unique. L’essence même du protestantisme est dans cette prise de distance avec le mythe d’universalité, oserai-je dire du katholikós, dont l’étymologie est « selon tout un chacun, general, universel ».

Ce disputatio bien protestant est à l’opposé de la lectio des donneurs de leçons et autres « marchands de certitude ». Le protestantisme permet une part de rêve, de liberté, la liberté de toujours tout réinterroger et parfois de faire autrement, et s’il le faut, de protester. C’est ainsi que cette lecture de l’Evangile pourra continuer d’éclairer une certaine idée du bien commun, qu’il pourra fertiliser aussi la responsabilité des hommes comme celle des institutions. Les réformateurs avaient une belle formule : post tenebras lux !