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Les parcours : une opportunité pour repolitiser l’action sociale ?

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Soirée publique avec Roland Janvier et Jacques Richir / Journées nationales de la FEP

Intervention du sociologue Roland Janvier, lors des Journées Nationales de la FEP

 

Soirée publique avec Roland Janvier et Jacques Richir / Journées nationales de la FEP

Soirée publique avec Roland Janvier et Jacques Richir / Journées nationales de la FEP

Dans une compréhension simple, la notion de parcours (parcours de vie, parcours de l’usager, parcours de soins, etc.) apparaît comme une nouvelle terminologie permettant de décrire les pratiques actuelles à l’égard des usagers.

Le parcours manifeste le décentrement des logiques d’action de l’institution vers l’usager. Ce n’est plus la prise en charge qui est première mais la capacité des organisations à accompagner la vie des personnes en apportant des réponses les plus personnalisées au plus près de leurs demandes. Mais il nous faut dépasser ces définitions de premier niveau et interroger dans une démarche critique ce que signifient ces évolutions. Un décryptage de ce qui se joue, aujourd’hui, pour le travail social, peut nous permettre d’ouvrir de véritables pistes stratégiques pour dépasser les évidences.


1. RATIONALISATION DU TRAVAIL SOCIAL

Le positivisme : normalisation et standardisation de l’humain
Le travail social est menacé par une tendance sociétale envahissante qui ne lui est pas propre mais qui produit, là aussi, ses effets dévastateurs. Il s’agit en fait d’un retour du scientisme qui entretient l’illusion d’une maîtrise totale des phénomènes, de leur prévisibilité, de leur impact, de leurs causes, et du lien immuable de ces causes avec les effets produits, voire de l’éradication des phénomènes non souhaités. L’effet le plus visible de cette irruption d’un positivisme fondamental se manifeste par l’hégémonie des normes. Les contraintes normatives pèsent de plus en plus sur toute activité humaine, soutenues par une inflation législative de plus en plus vive.

En arrière-plan de cette tendance lourde se développe une visée fantasmatique de rationalisation de l’humain : mise en fichiers de plus en plus sophistiqués, tentatives de prévisibilité des comportements à partir de grilles d’observation précoce, standardisation des pratiques relationnelles, tentation de conditionnement des conduites individuelles et collectives, etc. Dans ce nouveau contexte de formalisation rationaliste, le travail social tendrait à perdre ses repères. Ses dimensions de créativité dans la manière de construire la relation d’aide, de distance critique à l’égard de l’utilitarisme des prestations, de capacité à s’adapter à la singularité des problèmes et des situations, sont mises à mal, notamment, à travers le concept de performance.

La performance : une vitrification des pratiques
La tendance massive de ces dernières années est de formater les pratiques. L’idée louable est de rendre lisibles, visibles et compréhensibles des conduites professionnelles qui ont trop longtemps peiné à se dire et à se montrer. L’effet pervers de cette évolution est d’induire une sorte de standardisation des pratiques. Tout un arsenal de mesures vient alimenter cette dérive : indicateurs médico-sociaux de l’Agence Nationale d’Appui à la Performance, convergence tarifaire de la Direction Générale de la Cohésion Sociale, planification et programmation des Agences Régionales de Santé, recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l’Agence Nationale de l’Evaluation Sociale et Médico-sociale, etc.

Le travail social : un administré jeté au cœur du marché !
De plus, un autre facteur vient renforcer l’injonction normative : le principe de mise en concurrence des offres. Le système d’appels à projets et d’appels d’offre, maintenant généralisé à toutes les activités sociales et médico-sociales, place les opérateurs dans un jeu concurrentiel formaté par des cahiers des charges établis préalablement par l’administration et ne laissant quasiment plus de place à l’initiative locale ou à l’innovation des réponses. Ce jeu concurrentiel, qui correspond à la conversion de l’Etat français aux soit disant vertus du New Public Management, a des effets puissamment destructeurs sur le maillage social qui, par les solidarités et les complémentarités associatives, structurait l’offre dans les territoires au plus près des besoins. D’autant que cette prétendue émulation entre les acteurs – par un copier-coller des règles du jeu du marché économique libéral – n’ont pas supprimé les logiques bureaucratiques qui, au contraire, pèsent de plus en plus lourdement sur le fonctionnement des organisations du travail social. Entravés par une technocratie fonctionnant comme une forme de tutelle, les organisations du travail social – et particulièrement les associations d’action sociale – sont livrées pieds et poings liés à la sauvagerie d’un marché dans lequel leur culture, leurs règles, leur statut juridique, ne leur permet pas de jouer à moyens égaux avec un secteur lucratif qui vise à s’approprier toutes les niches de profits réalisables. Le discours néo-libéral tend à valoriser la notion de parcours individuel des bénéficiaires en ce sens qu’il privilégie une forme d’autodétermination des individus dans un contexte de désinstitutionalisation des organisations. De quoi parle-t-on derrière cette notion de parcours ?


2. PARCOURS : DE QUOI PARLE-T-ON ?

Parcours du combattant ?
Une première image qui vient à l’esprit est celle de « parcours du combattant », c’est-à-dire d’un jeu d’obstacles, tous plus hauts et plus difficiles les uns que les autres, qui met l’usager à l’épreuve. C’est sans doute cela, en termes de ressentis, la première perception qu’ont les usagers de leur parcours dans le dédale des institutions du travail social. En effet, le concept de parcours de vie, associé à la continuité des prises en charge ou des accompagnements, ne masque pas tout à fait la réalité. Les institutions du travail social restent, parfois malgré elles, des formes contraignantes d’intervention qui portent atteinte à l’intégrité des usagers, mettent à mal leur autonomie, aliènent leur liberté, développent de la stigmatisation.

Parcours de santé ?
Une seconde image, volontairement plus positive, est celle du « parcours de santé ». Il s’agit alors de l’agencement de dispositifs techniques qui guident l’usager vers un mieux-être, qui l’accompagnent dans le but d’améliorer sa situation, qui l’entraînent à être plus fort, plus musclé devant les difficultés de sa vie. Selon cette acception, la notion de parcours est conçue comme un protocole de travail qui maintient une part de contraintes mais qui situe plus l’usager comme interlocuteur agissant. Cette conception reste cependant pensée pour l’usager, sans lui et donc selon une certaine uniformité.

Parcours de vie ?
Et si nous prenions au sérieux le terme « parcours de vie » ? Alors cela devient un aléa, une imprévisibilité, un itinéraire inédit qui se crée au fur et à mesure de son déroulement, bref, la vie ! La vie qui invente son sens en se faisant, faite de continuités mais aussi – surtout – de ruptures, d’incohérences, de bifurcations. Alors cette notion ne peut plus être assimilée à un chemin qui conduit d’une institution à une autre et dans chacune d’elle à des formats préétablis, pas plus qu’à l’utilisation de dispositifs techniques établis une fois pour toute et s’adressant indifféremment à tous et à chacun. Le parcours de vie est émergence, surgissement, imagination, créativité et innovation : il appelle en conséquence des formes fluides, souples, évolutives et singulièrement adaptables de la part des accompagnants et des organisations qui les soutiennent. Nous mesurons combien cette conception de la notion de parcours est aux antipodes d’une vision rationalisante du travail social. C’est cette conception du parcours de vie qui ouvre la voie à une dimension politique du travail social.


3. UN PARCOURS POLITIQUE : DU « JE » AU « NOUS »

Parcours singulier et reconnaissance sociale : « mon » problème devient « le » problème
Assumé comme chaotique, incertain, le parcours de vie est d’abord marqué par sa singularité. Pour que l’approche des usagers par leur parcours de vie n’ait pas comme conséquence de les réifier dans la solitude de leur problématique, il est urgent de réarticuler chacun de ces parcours dans leurs dimensions sociales et politiques. En effet, penser parcours singulier ne doit pas faire l’économie des causes sociétales des situations. Naturaliser les problèmes (en attribuer toute la responsabilité à la personne) revient à dépolitiser la question sociale. C’est cette posture qui alimente une rationalisation du travail social : il ne serait plus qu’une technique de résolution de problématiques individuelles. Relier les problématiques aux questions sociales, économiques, culturelles, ethniques revient à repolitiser le travail social. Cette collectivisation des phénomènes transforme « le » problème de l’usager en « un » problème également rencontré par d’autres. Les solutions ne résident plus que dans la seule capacité de l’individu à changer mais, également, dans la mobilisation collective de ceux qui sont concernés pour trouver, ensemble, des solutions. La prise en compte du parcours de vie suppose donc une reconnaissance sociale qui fait passer de l’individualisation des problèmes – et donc des réponses – à une socialisation des causes – et donc des solutions à construire.

Un parcours non tracé d’avance : du destin à l’avenir
Cela suppose donc d’intégrer le fait que le travail social est d’abord un analyseur sociétal. Il se déploie dans la tension entre les situations individuelles et les questions politiques – c’est-à-dire de participation de tous à la vie de la cité – qui traverse les échanges sociaux. En fait, cette perspective ouvre un avenir nouveau au travail social : il est un levier d’action pour permettre aux groupes sociaux – et aux plus fragiles ou aux plus problématiques – de prendre collectivement en main leur destin. Le parcours individuel, parce qu’il rejoint, reconnaît et s’allie à d’autre parcours singuliers, participe d’un processus collectif de transformation sociale.

Un parcours inscrit dans le collectif : la démocratie
C’est ainsi, en passant du parcours individuel à la reconnaissance sociale, de l’action sur soi à une action sur la société, bref, en repolitisant l’action sociale, que le travail social trouve à se réinscrire dans un processus démocratique. Là où les tendances normalisantes, et rationalisantes tendent à réduire l’action sociale à la simple délivrance de prestations, là où l’injonction à la conformité et à la performance tendent à réduire les associations d’action sociale à n’être que les instruments disciplinés de politiques sociales conçues sans elles – et sans les usagers – la repolitisation de l’action sociale ouvre un nouvel espace de délibération démocratique dans lequel toutes les parties prenantes prennent leur place dans la construction d’une société de justice et de respect.

CONCLUSION

Repolitiser l’action sociale pour renouveler la question sociale
Mon propos vise à montrer le chemin par lequel nous pouvons envisager de repolitiser l’action sociale. Pour cela, il est urgent de faire de la question sociale une question politique et donc de refuser de la laisser se réduire à une simple dimension technique. C’est comme cela que le concept de parcours échappe à toute prédétermination pour devenir une voie ouverte d’initiative et de prise en main de son destin par l’usager : destin individuel indissociable du destin sociétal.

Repolitiser l’action sociale pour œuvrer à la transformation sociale
C’est ce dépassement des questions techniques par leur dimension politique qui associe aux parcours individuels un parcours d’action pour les organisations du travail social. L’éminence de leur raison d’être ne se réduit plus à la simple mise en œuvre de réponses aux problématiques sociales mais, à travers elles et au-delà d’elles, de se situer comme acteurs d’une transformation sociale, comme porteurs d’un véritable projet de société.