Intervention d'Isabelle Bousquet, pasteur à la Fondation John BOST, lors des Journées Nationales 2015 de la FEP.
Je vous parle depuis le lieu actuel de mon ministère de pasteur de l’Eglise protestante Unie de France : La Fondation JOHN BOST. « Ceux que tous repoussent, je les accueillerai au nom de mon Maître, sans murs ni clôtures, et je mettrai des fleurs sur leur chemin » (devise de John BOST hier comme aujourd’hui.)
Les convictions théologiques de la Fondation John BOST
Nos convictions sont que patients et résidents, comme vous et moi, comme chaque professionnel, sont aussi appelés à inventer leur vie en réponse à une vocation. Un regard qui affirme, met en mots ET en actes notre commune humanité, qui se reçoit d’un Autre. Il est de notre vocation de tout mettre en œuvre pour diminuer les souffrances des patients, des résidents. Lorsque la souffrance demande du soin, le soin est nécessaire. Lorsque la souffrance demande une amélioration des conditions de vie, prendre en charge les besoins fondamentaux de la personne est premier. Lorsque la souffrance demande une prise en compte de la question du sens, un accompagnement dans le questionnement, le « pourquoi ? » est alors indispensable.
Nos résidents
Qui sont les patients et résidents auxquels il est pour nous important d’offrir un accompagnement spirituel ? des personnes malades ou handicapées psychiques, des personnes polyhandicapées, des personnes déficientes mentales, des personnes très âgées ; et donc bien souvent des personnes qui ont de grandes difficultés de langage, de conceptualisation, de mises en mots de leurs questions existentielles. Des personnes pour lesquelles il est important que la communication de soit pas seulement des mots, mais, je le redirai, pas seulement des gestes non plus : protestants, nous avons la conviction que les signes ne peuvent pas « faire signe » sans paroles.
Un signe … ce qui permet de reconnaître, de prévoir quelque chose, dit le Larousse.
Et me vient aussitôt en mémoire ce moment de dialogue entre Jésus et ses disciples. Les disciples demandent un signe, et Jésus répond : Vous n’en aurez pas. Vos ancêtres ont eu celui de Jonas et cela n’a servi à rien, vous n’en aurez pas. Bon … il nous reste à nous approprier notre héritage, c’est-à-dire à prendre pour nous ce signe de Jonas. Oui, une histoire de parcours de vie de prophète avec ses refus d’obéir et ses refus de comprendre le projet de salut pour tous de Dieu ; une histoire peut faire signe, permettre de reconnaître, de prévoir. Cela fait sens. Quand nous insistons dans notre compréhension d’un parcours de soins et d’accompagnement (c’est-à-dire pas seulement de soins mais aussi de vie, de recherche de sens), comme nous le faisons à la Fondation John BOST, sur l’importance de la mise en récit par la personne elle-même de sa vie, sur les ruptures toutes aussi importantes que les continuités, sur l’accueil inconditionnel fait à la personne, sur la confiance que nous avons en un avenir ouvert, à inventer ; nous faisons nôtre ce signe de Jonas. Nous le réactualisons parcours de vie après parcours de vie. Quand nous dessinons un parcours de soins parfois comme un bout de chemin, parfois comme des marches qui montent ou qui descendent, parfois comme des routes momentanément coupées par des travaux ou un effondrement de terrain … bref, tout sauf une autoroute figée, non seulement nous offrons un signe protestant de notre compréhension de la vie, mais nous affirmons en effet que l’appel de Dieu ouvre l’histoire, sans la figer. Cela rejoint le regard de Frédéric de Coninck lorsqu’il relit la notion d’élection[1]. Comme dans l’histoire de Jonas, les ruptures possibles font signe, disent la liberté de chacun, la possible mais non enfermante continuité, et la confiance première, qui est celle de Dieu.
Un signe … une marque distincte faite sur quelque chose, dit encore le Larousse.
Et me vient en mémoire ce récit du livre de la Genèse où, d’après l’écrivain, Dieu met un signe sur Caïn pour qu’il ne soit pas tué à son tour, lui qui a tué son frère. Notre mémoire historique des époques où des hommes mettaient des signes, marques distinctes, sur d’autres hommes fonctionne comme un repoussoir. Pas question de poser des signes sur les hommes et les femmes qui vivent dans nos œuvres et institutions des parcours de soins, de vie ! Mais poser des marques distinctes sur notre travail, là, oui. Je voudrais vous raconter là une démarche entreprise à la Fondation John BOST. Une toute petite équipe, issue de la direction générale et du conseil d’administration, a travaillé toute une année pour mettre en mots et en images ses références communes, ses valeurs et convictions à propos de ses fondements, à propos du soin et de l’accompagnement, à propos du « vivre ensemble » dans le soin et l’accompagnement, à propos de la conduite des projets ensemble, à la Fondation John BOST. Puis, par petits groupes de 12 personnes, venant de pavillons et de métiers différents, les 1800 salariés ont vécu ou vivront une journée de partage et de formation sur ces références et repères. Nous appelons ce processus nos Gammes, comme pour jouer ensemble une partition au service des patients et résidents. D’une certaine façon, il s’agit de permettre à chaque professionnel de reconnaître les signes posés sur notre façon de travailler, de débattre des questions éthiques … Et par là même de reconnaître la tension entre les valeurs et principes et la réalité quotidienne.
Un signe … représentation matérielle d’une chose, dessin, figure … ayant un caractère conventionnel (signe de ponctuation, par exemple), toujours selon le Larousse.
Une représentation matérielle … J’imagine que vous aussi, vous pensez à l’interdiction biblique de fabriquer une chose, une figure, et ensuite de la diviniser. Le signe protestant qui illustrerait un parcours de soins et d’accompagnement serait alors justement ce regard tout particulier qui résiste à toute sacralisation : à celles de nos œuvres protestantes, à celles de nos idéologies, à celle aussi de la notion même de parcours. Et ce qui se voit concrètement, et qui renvoie à ce refus de sacralisation, c’est sans aucun doute la créativité non seulement possible, mais encouragée. Créativité, débat, recherche ensemble de solutions, de positionnement éthique disent le refus de sacraliser une façon de faire, une façon d’être avec, une façon de tracer un parcours. De mon point de vue le verbe OSER illustrait assez bien notre compréhension protestante de ce que peut être un parcours de soins et d’accompagnement.
Un signe … un phénomène extraordinaire, un miracle, continue mon Larousse.
Dans l’Evangile de Jean, l’auteur raconte sept signes posés par Jésus, qui ont comme conséquences de manifester la Gloire de Jésus (= de dire l’événement de la Croix + la résurrection comme lieu de cette Gloire, de cette manifestation de Dieu) ; et d’amener à la Foi, à la confiance en Dieu, en l’Autre. En ce sens, y-a-t-il des signes protestants possibles pour illustrer un parcours de soins et d’accompagnements ?
Proposer aux personnes malades, handicapées ou tout simplement en difficulté un accompagnement qui s’adresse à la personne dans sa globalité, dans toutes les dimensions de sa vie ; et proposer un accompagnement spirituel respectueux de la culture et des convictions de la personne, voilà qui fait signe. Et quand l’outil privilégié, utilisé sans crainte de tomber dans le prosélytisme, est la confrontation aux récits bibliques, voilà qui fait un signe bien protestant. Je pense par exemple à ce moment avec des résidents déficients autour de l’histoire de Jonas, justement. Je la racontais avec l’aide d’images[2]. Monique, une résidente qui visiblement connaissait bien l’histoire, grommelait régulièrement. Ce jour-là, c’était une professionnelle musulmane pratiquante qui accompagnait le groupe. A la fin de la séance, elle me fit part de son désir de relire dans le Coran ce qui est dit de ce Jonas, parce que là, elle s’était pas mal identifiée à cet homme qui prend ses jambes à son cou quand il comprend ce qu’il est appelé à être. Elle voulait aller voir si le récit du Coran l’inviterait aussi à des identifications. Je pense aussi aux résidents et aux professionnels qui, quelles que soient leurs étiquettes religieuses, témoignent de la confiance possible aux moments des deuils, reçu dans le partage, notamment d’un récit biblique. Ce partage a lieu dans les pavillons, pour les vivants. Nous l’appelons « service d’au revoir ». Il fait signe lui aussi, sans doute une peu au sens des signes de l’Evangile.
Alors oui, il est important que la communication, le vécu des parcours de soins et d’accompagnements ne soit pas seulement balisé par des mots, pas seulement balisés par des gestes non plus : protestants, nous avons la conviction que les signes ne peuvent pas « faire signe » sans paroles. Des paroles à oser, des paroles pour oser être témoin ensemble d’une commune humanité.
[1] Frédéric de Coninck. Agir, travailler, militer, une théologie de l’action. Excelsis 2006 . p. 316-320.
[2] Jonas. Kamishibaï biblique, aux éditions Passiflores. (20 histoires bibliques sont au catalogue actuellement)