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Je me suis retrouvé à la rue

Lutte contre les exclusions

Il travaillait depuis dix-huit ans quand il s’est retrouvé dans la rue. La faute au covid mais pas que… Stéphane raconte son histoire dans le Proteste 182.

Je m’appelle Stéphane, je viens à la Mission* depuis un an et huit mois. 

J’ai travaillé pendant dix-huit ans au Luxembourg, dans la restauration. En 2020, avec le Covid, les restaurants ont fermé. Je n’avais plus de salaire et je ne pouvais plus payer mon loyer. Je suis revenu en France, dans la région parisienne, quand ma sœur a proposé de m’héberger. Au bout d’un an, elle m’a demandé de partir. J’ai trouvé un travail pendant quelques mois dans un club de jeux ; je couchais dans une auberge de jeunesse, on était douze par chambre et je payais mille euros. Quand j’ai perdu mon emploi, j’ai été accueilli chez un ami et j’ai fait des extras dans une agence d’intérim.

Mais le 15 mars 2023, je me suis cassé le poignet. Plus rien qui tombe à la fin du mois, pas de chômage, on m’a dit que je n’étais pas éligible. En novembre, l’ami qui m’hébergeait m’a demandé de payer un loyer et comme je ne pouvais pas, je suis parti. Je me suis retrouvé dans la rue. 

Quand on est dans la rue

Les gens qui sont dans la rue, c’est une vraie communauté. Ils sont soudés, ils s’entraident. Ils m’ont accueilli, ils m’ont trouvé un sac de couchage, j’avais rien, deux sacs et un manteau. Très vite, ils m’ont amené ici, à la Mission. J’ai eu un petit déjeuner tous les matins – quelque chose de chaud en hiver, ça fait du bien –, un repas tous les soirs du mardi au vendredi et le samedi midi. J’ai fait connaissance avec Éric, l’équipe, les bénévoles. Ils se sont occupés de moi pour le vestiaire et ma domiciliation. J’ai été reçu avec un grand sourire, une poignée de main chaleureuse, en toute simplicité, on ne m’a pas posé de questions. Sans eux, je ne sais pas ce que je serais devenu.

Quand on est dans la rue, un sourire, un bonjour, ça remonte le moral : on se dit qu’on a de la valeur, on est quelqu’un, on n’est pas oublié. 

C’est vital, les associations qui aident les personnes. J’étais très reconnaissant et c’est pour ça que, par la suite, je suis venu à la Mission comme bénévole pendant un mois et demi, en cuisine, pour rendre service, ça me semblait normal. 

Dans la rue, je me suis fait voler mon téléphone et tous mes papiers. Je n’ai plus le RSA depuis huit mois. J’ai pas réussi à réactualiser mes bulletins trimestriels, j’espère que ça va être régularisé. 

Quelqu'un là-haut

Quand j’étais dans la rue, par hasard (il doit y avoir quelqu’un là-haut), un journaliste d’une chaîne Internet m’a interviewé. Il a lancé une cagnotte pour moi. On a eu plus de trois millions de vues sur les réseaux sociaux. Il a récolté 5 500 euros. Il y a une personne qui a été émue et m’a proposé de venir dormir dans une maison qu’elle met en colocation à Sevran, en Seine-Saint-Denis. Les trois premiers mois, c’était gratuit. Maintenant je paie trois cent cinquante euros par mois. Pour l’instant, je vis sur la fin de la cagnotte. 

De temps en temps, on perd la raison

Quand j’étais à la rue, bien sûr j’étais pas bien mais ça allait à peu près quand même. Un an et quatre mois, c’est long. Il y a eu des insultes mais ça glisse. Il y a aussi de très gentilles personnes qui viennent discuter avec nous, nous apportent des matelas, des couvertures, des cigarettes, à manger. Quand je dormais dans le RER à Nation, des gens me donnaient spontanément de l’argent. Ici, sur la place, il y a aussi les restaurateurs qui ont le cœur sur la main, nous donnent à manger, ouvrent les auvents quand il pleut pour qu’on puisse se mettre à l’abri. 

La rue, ça abîme, ça fait un peu péter les plombs, de temps en temps, on perd la raison, on se met à pleurer tout seul on sait pas pourquoi, c’est le ras-le-bol. Il faut vraiment beaucoup de courage. 

Je continue à venir à la Mission, je viens chercher mon courrier et je reste sur la place avec les copains. Je mange ici le soir. Le mercredi, je participe à l’étude biblique, je suis pas 200 % dedans mais ça m’ouvre l’esprit. 

Il faudrait que je retrouve du travail mais mon poignet me fait mal, à cause des broches, et je ne peux pas porter les assiettes. 

 

Propos recueillis par Brigitte Martin

* La Mission évangélique parmi les sans-logis œuvre depuis soixante ans au service des gens de la rue. Installée sur la place Sainte-Marthe dans le quartier de Belleville à Paris, elle sert 60 000 repas par an au public de la rue. Prière avant la distribution des repas à la demande, étude biblique, culte dominical... la Mission proclame l'Evangile, "La Parole et le Pain" est son slogan. 

 

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