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À la rencontre de l’essentiel de l’autre

L’essentiel est devenu, depuis 2020, un mot qui semble justifier de grandes décisions politiques et alimenter bien des polémiques. Mais l’essentiel est-il le même pour tous ?

 

Nous avons tous été amenés, confinement oblige, à hiérarchiser dans nos vies ce qui était essentiel et ce qui ne l’était pas. Le conflit russo-ukrainien, le réchauffement climatique… prolongent cette préoccupation de nos dirigeants, soucieux de préserver ce qui nous est essentiel.

Souffrir avec et pour ceux que l’on aime

Loin de blâmer ceux qui cherchent à sauvegarder « un essentiel » pour le collectif, j’aime m’interroger sur ce qui est primordial pour celui que je rencontre, pour celle avec qui je chemine.

Aristote considérait que l’essentiel pour l’homme est sa capacité à penser. C’est ce qui fait de lui un être humain. Non pas ce qui se voit, mais cette faculté à réfléchir. Pour Rabelais, « le rire est le propre de l’homme ». Aristote, le Grec, n’avait aucun goût pour la farce et la comédie. Doit-on les opposer pour autant ?

Bien sûr, penser et réfléchir est essentiel pour chacun d’entre nous ; la capacité de rire et de sourire l’est tout autant. Mais, au risque de contrarier Rabelais, verser des larmes, s’indigner, souffrir avec et pour ceux que l’on aime, n’est-ce pas aussi « essentiel » ?

Son essentiel n’était pas de vivre

Jocelyne m’a touchée. Mère de quatre enfants, victime de violences conjugales, elle a quitté le domicile familial en hâte. En quelques mois, elle a perdu travail, logement, statut social. Mise à l’abri dans un hôtel par le 115, elle est venue au café des Parents organisé par notre association. Quel échange, quelle leçon de vie ! « Quand j’ai réalisé que l’essentiel pour moi était de préserver mes enfants, alors oui, j’ai eu la force de partir », a confié Jocelyne, les yeux humides. Son essentiel n’était pas de vivre, ni de rire, ni de réfléchir, ni même de manger ou d’avoir un lieu où dormir mais, comme une évidence, de préserver l’intégrité psychologique et physique de ses enfants. L’essence de sa vie l’avait mise en route : elle était mère et sa priorité était de permettre à ses enfants de vivre… loin de la violence.

Mon essentiel s’enrichit à la rencontre du tien

Si j’avais rencontré Jocelyne quelques mois plus tôt, peut-être aurais-je été sensible à l’apparence de cette jeune femme, vive et souriante, active et organisée. Mais je serais passée à côté de son drame alors qu’elle perdait son essentiel : sa capacité à être mère. Aujourd’hui, ce qui est essentiel pour Jocelyne, c’est d’être une femme libre de penser et d’agir.

Avant cette rencontre, j’aurais volontiers défini le souffle de vie comme mon essentiel. Il me permet d’être en relation avec mon Créateur et mon prochain. Mon essentiel prend tout son sens et s’enrichit à la rencontre de l’essentiel de l’autre. Il n’y a pas opposition ; chaque être humain est unique et renferme un trésor, un mystère que nous devrions percevoir. Le Petit Prince nous invite à la réflexion avec ses dessins du serpent boa « ouvert » et « fermé ». Saint-Exupéry l’atteste, par la bouche du renard : « L’essentiel est invisible pour les yeux. »

Ne nous y trompons pas, l’essentiel est d’abord une affaire d’esprit et de cœur. Il fait de nous ce que nous sommes, il dégage une odeur particulière et unique. Ce qui fait mon essentiel me pousse à agir, à chercher à répondre à mes besoins les plus profonds et à saisir, comme en écho, ceux de l’autre. Sans jamais laisser mon essentiel devenir le sien, ni son essentiel devenir le mien.

 

Françoise Caron, présidente de l’AFP Maranatha à Cergy-Pontoise

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