« Il est inacceptable qu’un être humain ne puisse manger à sa faim, reposer sa tête en un lieu sûr et ne soit considéré comme membre à part entière du corps social. Où qu’il soit et quel que soit son itinéraire personnel, il s’agit toujours d’une négation de la vie. »[1]
Ce qui était inacceptable avant cette crise sanitaire, l’est toujours aujourd’hui mais le temps du confinement a exacerbé ces inégalités déjà constatées, aggravant la situation des personnes les plus exclues de notre société.
Tous concernés par cette pandémie, les conditions de confinement ne sont cependant pas les mêmes pour tout le monde ! Les personnes sans domicile fixe (souvent des hommes seuls mais aussi à certains endroits, des familles avec enfants, des mineurs isolés étrangers), les populations Roms ou migrantes entassées dans des campements, gymnases, hangars ou vivant dans des bidonvilles ou des squats, les femmes à la rue, les personnes prostituées… Tous, particulièrement exposés, sont touchés de plein fouet.
Les personnes habituellement invisibles dans nos villes n’ont jamais été aussi visibles. Certes, les personnes faisant la manche dans les rues sont visibles en tout temps, car elles nous sollicitent aux coins des rues, aux distributeurs de billets, aux entrées de magasin. Mais en cette période où une grande partie de la société est en confinement et où les rues se sont vidées de leurs passants, la présence des personnes à la rue nous saute aux yeux et nous interpelle plus que jamais.
Quel confinement pour les personnes sans domicile ? Comment s’alimenter quand le pays semble à l’arrêt, que plus personne n’arpente les rues ? Comment prendre soin de soi, répondre à ses besoins fondamentaux d’hygiène, comment survivre face aux conséquences de la crise du Covid-19 ?
Les associations membres de la FEP s’engagent auprès des plus démunis. La FEP s’engage pour défendre la cause des oubliés du confinement en agissant, notamment, au sein du Collectif des Association Unies. Ce dernier a publié un dossier de presse le 16 avril 2020 véritable interpellation des pouvoirs publics en faveur des personnes en situation de grande exclusion et de grande précarité, brossant un tableau poignant de la réalité de celles-ci.
Les mesures gouvernementales, bienvenues mais insuffisantes
Le Gouvernement a pris des dispositions en prolongeant la trêve hivernale de deux mois à la demande pressante de plusieurs acteurs majeurs de la solidarité dont la Fédération des acteurs de la solidarité, partenaire de la FEP. Les collectivités territoriales locales en lien avec le gouvernement ont pris des dispositions pour mettre à l’abri un maximum de ces personnes en ouvrant des places supplémentaires en hébergement d’urgence. A travers les associations actrices de la solidarité gérant des centres d’hébergement, l’Etat maintient ouvertes, au 12 avril 2020, 174 000 places d’hébergement. 9 000 places d’hébergement en hôtel supplémentaires sont ouvertes ainsi que 3100 places d’hébergement pour les personnes sans domicile atteintes du COVID-19 à travers toute la France. Au 15 avril 2020, 500 places supplémentaires en hôtel et 100 places pour les malades du COVID-19 supplémentaires sont annoncées. La crise en matière de ressources alimentaires mobilise de très nombreuses associations pour permettre l’alimentation des plus démunis et des personnes sans domicile. L’annonce, le 20 avril 2020, de la reconduction du dispositif exceptionnel de distribution de chèques services, par le ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, révèle une situation très préoccupante. Ces mesures, si bienvenues soient-elles, ne peuvent résoudre une situation jugée catastrophique depuis bien longtemps. La crise d’aujourd’hui révèle de façon plus accrue les conditions de vie inhumaines vécues par de très nombreuses personnes dans notre pays. Les places d’hébergement supplémentaires restent une goutte d’eau, bien temporaire, pour les personnes sans domicile. Ces dernières, d’ailleurs, ne bénéficient pas toujours du dispositif des chèques-services qui viennent également pallier le manque des foyers les plus modestes qui subissent la crise de plein fouet. Ces mesures soulignent en réalité les défauts du système vis-à-vis des oubliés de la rue, les mesures de confinement et la réponse à la crise actuelle du COVID-19 en décalage profond avec la réalité du terrain de ces personnes.
Vivre confiné lorsque l’on n’a pas de logement ou qu’il n’est pas salubre
Car les mesures de confinement ne sont possibles que pour celles et ceux qui ont un chez-soi. « Restez chez vous » entend-on partout. Alors, que faut-il faire lorsque l’on n’a pas de « chez-soi » ? Les populations Roms et les populations exilées qui sont sans-papiers et sans droits, regroupées dans des camps de fortune, sont bien les dernières à pouvoir bénéficier des aides et des informations nécessaires à assurer leur sécurité face au Covid-19. Il est heureux que de nombreuses associations et têtes de réseau s’inquiètent pour ces populations et interviennent auprès des pouvoirs publics pour alerter sur une situation qui, non seulement et sans surprise, est indigne sur le plan humain, mais qui risque de devenir un drame sanitaire en cas de vague de contamination par le virus.
En cette période de pandémie, l’impératif d’un confinement général et la nécessité pour les personnes présentant des symptômes de devoir rester dans une chambre sont une difficulté majeure pour les responsables des centres d’hébergement (CHRS) et des établissements médico-sociaux accueillant un public en situation de précarité, comme par exemple les Lits halte soins santé (LHSS) et les Lits d’accueil médicalisés (LAM). En effet, les personnes sans domicile ne sont pas habituées à l’enfermement et ont un besoin impérieux d’aller et venir en toute liberté. L’idéal serait, au minimum, de pouvoir disposer de masques pour toutes les personnes hébergées, ce qui est encore loin d’être le cas, quand on sait que l’hôpital public lui-même, dans beaucoup d’endroits encore, est contraint de solliciter la collaboration de la population pour la fabrication de masques…en tissu !
Si l’ouverture de places nouvelles a permis la mise à l’abri d’un certain nombre d’entre elles, on remarque néanmoins que les personnes toxicomanes et celles présentant des troubles psychiques importants échappent aux messages de prévention et aux solutions proposées pour leur mise à l’abri. En effet, pour les personnes toxicomanes en particulier, que peut signifier le confinement lorsqu’il faut trouver le produit, que ce produit se fait rare et que la manche est rendue plus difficile du fait de la raréfaction des personnes dans les rues ? Par ailleurs, les conditions d’accueil des structures d’hébergement ouvertes pour la crise du Covid-19 ne sont pas toujours adaptées à ces publics très en détresse qui ne peuvent rester confinés dans un centre, encore moins dans une chambre. Cette remarque vaut hélas pour bien des structures du secteur de l’exclusion ouvertes à l’année !
On sait qu’en termes de priorité, il y a d’abord le sanitaire puis le médico-social. Le secteur de l’exclusion sociale n’arrive souvent qu’en dernier lieu…
S’alimenter au temps du Covid-19
Il est « inacceptable qu’un être humain ne puisse manger à sa faim », rappelle la charte de la FEP.
Dans le contexte actuel, un des enjeux est d’assurer la continuité des activités de distribution alimentaire pour que tous puissent au minimum se nourrir !
Force est de constater que la mobilisation au sein des entraides de la FEP permet de pallier aussi bien que possible les manques occasionnés par la fermeture de certains centres de distribution des partenaires associatifs ou le retrait contraint de certains bénévoles, ne pouvant prendre le risque d’être contaminés, le manque de matériel de protection ne facilitant pas la tâche.
L’accès à l’alimentation s’est donc réorganisé grâce à l’engagement d’anciens et de nouveaux bénévoles et des salariés.
Près d’une centaine d’associations de notre réseau ont continué, voire augmenté, et pour certaines, mis en place pour la première fois une activité de distribution alimentaire sous la forme de colis en s’adaptant aux règles sanitaires et déployant beaucoup d’ingéniosité et d’énergie pour répondre présentes auprès des plus démunis.
Des repas sont également distribués. A titre d’exemple parmi d’autres, plus de 20 000 repas distribués dans les campements et squats de la région parisienne par l’Armée du Salut, 70 repas tous les jours par Entraide et Partage avec les sans-logis ou encore 400 repas par jour distribués, hors les murs, par le CASP.
Des maraudes « petits déjeuners », s’organisent pour de nombreuses personnes dormant dans la rue.
L’Etat a également lancé un dispositif subsidiaire de chèques-services pour couvrir les besoins de première nécessité de 60.000 personnes sans domicile Une initiative louable, même si les associations ont parfois des difficultés à obtenir ces chèques services, en nombre encore insuffisant, auprès de certains opérateurs.
On ne peut que déplorer que dans certaines villes, ils soient refusés à ces publics pourtant directement concernés.
L’exclusion, facteur d’aggravation pour la santé face au Covid-19
L’accès à l’eau conditionne l’accès à l’hygiène. Il est indispensable face au virus, et pourtant, l’eau est devenue rare pour les populations sans domicile ou vivant dans les squats et bidonvilles : la mise en place du confinement a vu fermer les accès à l’eau, aux douches et toilettes publiques. L’eau est indispensable pour boire, cuisiner, se laver et respecter les gestes barrières. Si des initiatives gouvernementales et des collectivités territoriales, en lien avec les associations de solidarité, ont pris des mesures pour permettre un accès à l’eau, celles-ci restent insuffisantes. On compte par exemple un robinet pour 150 ou 200 personnes, ou des points d’eau à plusieurs centaines de mètres du bidonville, de vrais sanitaires n’étant pas toujours installés.
Par ailleurs, les conditions de vie dans les bidonvilles, les foyers de travailleurs migrants et certains groupes de voyageurs – promiscuité, impossibilité de respecter les gestes barrières, conditions d’hygiène très insuffisantes – font de l’hébergement collectif d’une façon générale un risque majeur d’entretien de l’épidémie, tant pour les personnes accueillies que pour celles qui les accompagnent.
La situation de ces personnes, déjà fragilisées par la précarité et l’exclusion, est devenue encore plus extrême.
Cet accès aux biens de première nécessité, eau, hygiène en premier lieu, était rendu – notamment au début - d’autant plus difficile qu’aucune information en langues étrangères sur la lutte contre le COVID-19 et sur les modalités du confinement n’était disponible. Un effort considérable a été mené par de nombreux membres de la FEP pour permettre une large diffusion d’affichettes en différentes langues, des consignes et recommandations pour faire face au Covid-19.
A ce difficile accès à l’eau et à l’hygiène de base, s’ajoute, pour les habitants des squats et bidonvilles, le risque de non-prise en charge médicale de maladies autres que le Covid-19, de rupture de soins en cas de maladies chroniques, du fait de leurs conditions de vie. La question des addictions, de l’impact du sevrage forcé, présente un risque non négligeable sur la vie des personnes.
Enfin, il faut aussi prendre en compte les conséquences psychologiques importantes que peut avoir la situation actuelle sur les personnes sans-abri, en grande précarité. Le confinement occasionne ainsi des situations de décompensation forte et de détresse psychologique lourde qui viennent s’ajouter ou aggraver les pathologies lorsqu’elles sont déjà présentes.
Dans ce temps particulier où les invisibles sont visibles comme jamais auparavant, les ignorer nous est désormais impossible. Nous pouvons choisir de voir dans le confinement – qui nous renvoie à notre propre solitude – l’exclusion sociale à laquelle sont confrontées les personnes sans-abri, les personnes en grande précarité, dépourvues de revenus et de liens sociaux. Alors que ces personnes nous apparaissent encore plus visibles dans les rues, vidées de celles désormais confinées dans leurs foyers, nous ne pouvons plus ignorer le besoin de relations, d’attention et d’amour. La fraternité qui nous meut doit pouvoir trouver à s’exprimer à leur égard. Se protéger, respecter les gestes barrières et leur dire un mot !
[1] Charte de la Fédération de l’Entraide Protestante