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Témoignage de Soledad André sur la situation au Liban 

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Information au lecteur :

Nous avons souhaité publier ce témoignage daté de début septembre, dans lequel Soledad André, chargée de mission pour les Couloirs humanitaires évoque le contexte au Liban et son impact sur le quotidien des réfugiés de Syrie et d'Irak. 

Depuis, l'intensification du conflit entre le Hezbollah et Israël, les bombardements et les explosions au sud du Liban ont engendré une dégradation inquiétante des conditions de vie de la population libanaise et de celles des familles réfugiées et rendent chaque jour la mission des Couloirs humanitaires plus difficile.  La FEP souhaite un apaisement de la situation au Liban et dans la région. Dans un contexte où l'accès à  la protection internationale est de plus en plus restreint, les Couloirs humanitaires sont en effet une des rares possibilités d'avenir ouvertes aux populations  réfugiées. 

 

C’est à Halba, au Nord de Tripoli, non loin de la frontière syrienne, que nous rencontrons Shiraz[1], son époux, et leurs enfants. Trois heures d’entretien seront nécessaires à notre équipe pour récolter les premiers éléments nécessaires à la construction du dossier de la famille dans le cadre du programme des Couloirs Humanitaires.

Trois heures de discussion, où Shiraz se livre peu à peu sur les conditions qui ont mené à son arrestation, ainsi que celle de son dernier-né, âgé alors de 2 mois, et à leur expulsion illégale vers la Syrie. Suite à ce retour forcé dans le pays qu’elle a fui il y a 10 ans de cela, Shiraz et son nouveau-né sont directement arrêtés par le Régime Syrien. S’en suivent deux mois passés dans les geôles syriennes où Shiraz subira les techniques d’interrogatoire violentes habituellement utilisées par les autorités syriennes. L’accusation qui a été retenue contre elle est celle trop communément utilisée par le Régime ; homonymie. Shiraz et son nouveau-né auront passé deux mois en prison avant d’être finalement libérés.

Le cas de Shiraz n’est malheureusement pas rare.

Le Liban, pays qui accueille sur son territoire le plus grand nombre de réfugiés proportionnellement à sa population, et qui traverse une crise économique décrite par la Banque Mondiale comme l’une des pires de l’Histoire depuis 1850, est depuis le 8 Octobre 2023 le terrain d’affrontements à sa frontière sud entre l’armée Israélienne et les forces armées du Hezbollah et de leurs alliés. 

Dans ce contexte explosif, et sur fond de normalisation des relations avec le Régime Syrien sur la scène internationale, de nombreuses voix au Liban s’élèvent contre la présence des réfugiés syriens sur le territoire.

Voilà quelques mois que le discours politique envers les réfugiés syriens se durcit considérablement, entraînant une multiplication des agressions xénophobes et racistes à leur encontre. En avril 2024, suite au meurtre d’un responsable d’un parti politique chrétien par des syriens appartenant à un réseau criminel opérant en Syrie et au Liban, le déferlement de violence à l’encontre des réfugiés syriens qui s’en est suivi s’est traduit par des chasses à l’homme organisées dans plusieurs localités, dont la capitale libanaise, des passages à tabac, des appels à la délation…

Les autorités libanaises ont également pris des mesures restrictives : les réfugiés syriens sont soumis depuis plusieurs mois à des restrictions de mouvements bien plus strictes qu’auparavant. Des barrages routiers sont mis en place, les autorités ont fermé de nombreux commerces où travaillaient des syriens, ceux-ci sont également expulsés de leur logement, dans le tissu urbain ou dans les camps. Par ailleurs, dans de nombreuses municipalités, un couvre-feu est imposé aux syriens. L’armée libanaise, la police et les services de renseignement interviennent également lors de raids menés dans les localités où vivent les réfugiés afin de procéder à des arrestations qui conduisent bien souvent à des expulsions du territoire.

Des cas de retours « volontaires » ont été par ailleurs enregistrés, comme à la mi-mai où 200 réfugiés sont partis à bord d’un convoi organisé par les autorités libanaises, en coordination avec Damas. Retours « volontaires », timides et « teintés de peur », comme décrit par les journalistes présents sur place[2].

Quelques milliers de personnes ont ainsi été expulsées illégalement vers la Syrie en quelques mois, et ce, malgré les nombreux avertissements des ONG sur l’impossibilité de garantir un retour « digne » et « sécurisé » de ces populations.

Le sort des réfugiés ramenés de force en Syrie est aléatoire ; dans certains cas, moyennant quelques centaines de dollars que se partagent les garde-frontières syriens et libanais, ils peuvent fuir à nouveau vers le Liban. Tous ne sont pas si chanceux. En Septembre 2021 déjà, Amnesty International avait documenté un catalogue de violences[3] commises par les autorités syriennes à l’encontre des nationaux revenant en Syrie, dont des détentions illégales ou arbitraires, de la torture, des viols et autres violences sexuelles, ainsi que des disparitions forcées. En Avril 2024, Human Right Watch[4] a également dénoncé ces expulsions illégales, indiquant qu’elles représentaient un réel risque pour les personnes expulsées.

Outre la politique libanaise de plus en plus agressive envers les réfugiés syriens, ceux-ci subissent également les conséquences des affrontements à la frontière sud du Liban entre l’armée Israélienne et le Hezbollah, qui ont lieu de façon quotidienne depuis le 8 Octobre 2023. De nombreuses familles syriennes ont dû fuir les bombardements, sans pour autant avoir accès aux abris mis en place pour les nationaux libanais. Une restriction de mouvement leur est imposée sur le territoire libanais. L’équipe des Couloirs Humanitaires accompagne actuellement une dizaine de familles situées dans les zones bombardées qui ont dû fuir leur logement et ont trouvé refuge dans des champs.  

Si les réfugiés présents sur le sol libanais peuvent avoir accès à une forme de protection internationale, entre autres via des programmes tels que les Couloirs Humanitaires, ou via les voies de réinstallation mises en œuvre par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), ces voies d’accès à l’asile sont de plus en plus restreintes.

A l’heure où la crise syrienne a été éclipsée sur la scène internationale par d’autres conflits plus récents, et dans le contexte sécuritaire libanais dégradé, de nombreuses missions de réinstallation permettant aux réfugiés de trouver asile de manière sûre et légale en Europe ou en Amérique du Nord ont été suspendues ou reportées.

Les Couloirs humanitaires demeurent l’une des seules possibilités d’offrir un avenir sur aux réfugiés.

Dans ce contexte la FEP appelle à l’ouverture de davantage de voies légales pour permettre aux réfugiés syriens d’obtenir une protection internationale dans un pays sûr 

Soledad Andre,
Chargée de mission – Couloirs Humanitaires

Guilhem Mante,
Délégué au pôle « Accueil de l’Etranger »

 

[1] Tous les noms dans cet article ont été changés

[2] “À Ersal, un retour « volontaire » en Syrie timide, et surtout teinté de peur », L’Orient le Jour, Lyana ALAMEDDINE, 15 Mai 2024,  https://www.lorientlejour.com/article/1413799/a-ersal-un-retour-volontaire-en-syrie-timide-et-surtout-teinte-de-peur.html

[3] “Syria: Former refugees tortured, raped, disappeared after returning home”, Amnesty International, Septembre 2021, https://www.amnesty.org/en/latest/news/2021/09/syria-former-refugees-tortured-raped-disappeared-after-returning-home/

[4] “Lebanon: Stepped-Up Repression of Syrians”, Human Right Watch, April 2024, https://www.hrw.org/news/2024/04/25/lebanon-stepped-repression-syrians