Le 3 avril 2024, les cercles Handicap et Personnes âgées de la FEP ont organisé à Paris une conférence-atelier autour du thème « Le pouvoir d’agir : une ambition pour tous », en présence de Denis Piveteau, conseiller d’État et ancien directeur de la CNSA. L’occasion a ainsi été offerte aux professionnels et bénévoles de marquer une pause et prendre un temps précieux pour réfléchir sur ce thème dans un emploi du temps souvent bousculé par la gestion du quotidien.
Intervention de Denis Piveteau
Il est important de parler du pouvoir d’agir. Dans une logique d’empowerment[1], il y a toujours deux composantes : un environnement qui donne aux individus la capacité d’agir, et des individus qui se saisissent de ce pouvoir d’agir.
Souvent, l’accompagnement des personnes vulnérables est éducatif et unidirectionnel : nous avons le savoir et leur transmettons, sans solliciter leurs ressources. À quelles conditions peut-on rendre l’environnement « capacitant », prenant appui sur l’individu et sur ses capacités, qu’on sous-estime souvent ? Il faut susciter ce qui, dans la relation d’accompagnement, permettra l’expression des capacitéses choix et fondamentalement, de ce que chacun est lui-même.
De l’ancien et du neuf
Il y a dans le concept d’empowerment de l’ancien et du neuf, du banal et du révolutionnaire. Dire que toute personne, même vulnérable, a une liberté personnelle est très ancien. Chacun a le droit de décider lui-même de ce qui est bon pour lui, c’est une notion fondamentale de notre droit constitutionnel. Ce qui est neuf, c’est qu’elle s’invite dans la relation d’accompagnement : la protection à assurer ne doit pas se penser en restriction à la liberté mais en appui à son exercice. La personne accompagnée a besoin d’être aidée mais c’est elle qui doit décider, en étant accompagnée. Il y a un enjeu de posture professionnelle : j’aide la personne à discerner ce qu’elle estime bon pour elle et dans quelle mesure elle peut l’atteindre.
De la même manière, il est très banal et en même temps révolutionnaire de prendre appui sur les capacités de la personne. Certes, on l’a toujours fait, mais en répertoriant les manques et en comblant les trous. Les choses se déplacent, on ne regarde plus seulement les trous mais les pleins. La personne n’est pas ce qu’elle aurait dû être dans l’idéal, avec des choses en moins : elle est qui elle est, avec son handicap, sa réalité psychique, physique, ses potentialités On se laisse surprendre, on passe d’une logique de « prise en charge » à un relatif « lâcher-prise ».
Une double inquiétude
Cette vision suscite une double inquiétude : la mise en danger de la personne vulnérable et la négation du rôle du professionnel. Sur le premier point, c’est vrai, la frontière entre la bonne prise de risque et l’inadmissible mise en danger est une question centrale et quotidienne de toute démarche d’aide à l’autodétermination.
Sur le second point, il faut rappeler que l’autodétermination n’a pas de sens en dehors d’une relation d’accompagnement. Loin de nier le travail professionnel, elle suppose des outils, des formations, des organisations de travail pluriprofessionnelles et responsabilisantes, plus d’ouverture vers les familles, un appui éthique…
On entend parfois que certains handicaps très lourds ne sont pas concernés. C’est un contresens, c’est précisément dans ces situations que la question se pose avec le plus d’exigence. Reste à savoir si la société est prête. L’autodétermination entraîne un désir d’interaction sociale plus fort et la confrontation avec le milieu ordinaire reste rude. La société doit changer, se rendre accessible.
Le regard chrétien est en parfaite tangence avec le soutien à l’autodétermination, l’un comme l’autre promeut la dignité de la personne et invite à une transformation – on aimerait dire « conversion » – de la société pour la rendre accessible à tous. De ce point de vue, un projet associatif spirituel peut entrer, je crois, en dialogue constructif avec la société sécularisée. Le spirituel peut être un élément d’unification, sous réserve, même si la frontière est poreuse, de bien le distinguer du religieux.
Ateliers pratiques avec le cabinet Resurgo
L’après-midi, le cabinet Resurgo a animé, selon une dynamique participative, plusieurs séquences en sous-groupes avec pour objectif de relater des réussites menées dans les établissements susceptibles d’inspirer la centaine de participants.
Les modalités d’animation des ateliers ont permis de passer d’une réflexion individuelle à un échange collectif. Dix actions remarquables ou transférables, répertoriées comme « pépites », ont ainsi été présentées à l’ensemble des participants.
Cette très belle journée a eu le mérite de démontrer que le pouvoir d’agir n’est pas uniquement une ambition ; il se vit au quotidien dans des établissements où le sens de l’engagement et le choix des personnes accompagnées sont privilégiés. "Choisir un métier du travail social, c’est se donner le pouvoir d’agir avec les personnes que l’on accompagne pour faire advenir une société inclusive"(Denis Piveteau)
Que cette affirmation nous guide !
[1] C’est Amartya Sen, célèbre prix Nobel d’économie qui a imaginé le concept d’empowerment.
Écoutez l'intégralité de l'intervention de Denis Piveteau ici :