La FEP s’est fortement mobilisée depuis des mois dans le cadre du projet de loi immigration, dénonçant un texte qui va aggraver les situations qu’il prétendait combattre. Nous nous opposons radicalement au principe de « préférence nationale », aux antipodes de l’engagement de terrain et des convictions de nos membres. Au moment où le Conseil constitutionnel vient de se prononcer, retrouvez la tribune signée par Isabelle Richard et parue dans la Croix aujourd'hui. |
Tribune
Alors que le Conseil constitutionnel rend, ce 25 janvier, sa décision sur la loi immigration, la présidente de la Fédération de l’Entraide Protestante dénonce une loi qui va plonger des familles dans la précarité et fracturer la société française.
Isabelle Richard, le 25/01/2024 à 13h55
« Qu’as-tu fait de ton frère ? » Cette question brûlante posée par Dieu à Caïn qui vient de tuer son frère Abel (1) résonne douloureusement depuis que l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi immigration en décembre dernier. Comme l’affirmait la déclaration de la Fédération protestante de France (FPF) à ce sujet (2) « …l’accueil de l’étranger est au cœur du message chrétien. Les protestants français n’oublient pas non plus que beaucoup de leurs ancêtres ont connu un exil forcé (3) (…) une autre politique en matière migratoire est possible et nécessaire, une politique fondée sur l’accueil et la solidarité, sur le respect des droits et de la dignité des personnes. ». Les membres de la Fédération de l’Entraide Protestante, engagés sur le terrain de la solidarité et du soin, se situent en plein accord avec le message de la FPF et souhaitent réaffirmer leurs convictions. Nous sommes conscients de la complexité du sujet et des tensions qui pèsent sur le climat politique. Nous mesurons que la précarité et l’insécurité sont des facteurs d’instabilité et de repli sur soi. Mais nous refusons les amalgames auxquels ont pu conduire les récentes et dramatiques attaques terroristes et affirmons que le rejet de l’autre et la stigmatisation, caractéristiques de l’esprit de cette loi, ne seront jamais des réponses à la question migratoire. Toutes les études démontrent que la détérioration des conditions d’accueil des personnes étrangères n’a aucun impact sur l’évolution du flux de personnes migrantes (4). Au contraire, la restriction de l’accès à certaines prestations sociales ou le délit de séjour irrégulier sont autant de mesures qui pénaliseront l’inclusion au sein de la société française. Aggravant les situations de mal-logement, cette loi va engendrer des effets opposés à ceux qu’elle entend combattre : la précarisation d’hommes, de femmes et d’enfants, le délitement du lien social et la fracturation de la société française.
Les protestants ont conservé l’attachement à la liberté, à la responsabilité et à la justice de leurs ancêtres. Aujourd’hui, ces convictions inspirent et nourrissent encore notre engagement citoyen au service des plus vulnérables et notamment des étrangers. Plus de 50 000 salariés et bénévoles des institutions membres de la Fédération de l’Entraide Protestante y travaillent quotidiennement et témoignent combien l’accueil et la solidarité sont sources de richesses partagées, ferments du vivre ensemble et promesse de paix sociale. C’est en accompagnant dignement que l’on favorise le sentiment d’appartenance à la société française des nouveaux arrivants, d’innombrables réussites admirables et parcours de vie courageux en sont l’illustration.
La France a toujours été terre d’immigration. C’est grâce à l’hospitalité inscrite dans les principes de la République, grâce à la possibilité donnée aux étrangers de travailler pour se reconstruire, que des générations d’exilés ont contribué à forger notre pays (5). Et c’est grâce et avec eux que nous ferons face, dans les décennies à venir, aux défis économiques et démographiques (6). Le principe de « préférence nationale » s’oppose à tout ce que nous observons et mettons en œuvre en tant que citoyens engagés et responsables, et à tout ce que nous croyons et défendons en tant que chrétiens inspirés par l’Évangile. Que devient une société qui refuse à l’étranger les miettes tombées de ses tables?...
Isabelle Richard, présidente de la
Fédération de l’Entraide Protestante
(1) Genèse 4,9-10
(2) Déclaration de la Fédération protestante de France au sujet du projet de loi Immigration : cf. https://www.protestants.org/articles/135201-declaration-au-sujet-du-projet-de-loi-immigration
(3) Plus de 200 000 protestants se sont exilés à la révocation de l’Édit de Nantes, soit 1/4 des protestants français
(4) La surenchère dans la « fermeté » n’a jamais réussi à réduire les « flux d’entrée », elle crée un effet de nasse en bloquant les va-et-vient entre pays d’origine et pays de destination. Institut Convergences Migrations
(5) Au total, 21% de la population française est, soit née à l’étranger, soit née d’au moins un parent immigré. Centre d’observation de la société février 2023
(6) « D’ici 2025, nous aurions besoin de 3,9 millions de salariés étrangers » Patrick Martin, président du MEDEF, le 19 décembre 2023 sur Radio Classique