La différenciation sexuée nous ouvre à la relation. Elle est une richesse quand chacun collabore sans esprit de rivalité.
Les récits des origines font une large place à la différenciation « homme et femme ». Comme l’a souligné Karl Barth, c’est la seule différence entre les humains dont parlent ces textes fondateurs[1]. Toutes les autres distinctions (sociales, raciales…) que l’on a voulu introduire se voient ainsi relativisées. En même temps, le rôle structurant de la détermination sexuelle n’en ressort que plus clairement.
L’humain androgyne est un mythe
Si l’Évangile nous annonce la réconciliation avec le Créateur, il nous permet aussi de faire la paix avec notre statut de créature – et donc avec notre féminité, ou notre masculinité. Dieu m’a créée femme (comme d’autres, il les a créés hommes) – et c’est bon ainsi, voire « très bon », martèle le premier chapitre de la Genèse[2]. L’Écriture résiste au rêve de l'humain androgyne, que l'on rencontre dans la mythologie[3] : une personne ne peut jamais récapituler l'ensemble de l'expérience et des compétences humaines ; elle a toujours besoin d'être complétée, secourue. Ceux qui acceptent leur dépendance envers le Créateur peuvent de même accueillir avec reconnaissance leur dépendance envers le vis-à-vis humain. Les communautés chrétiennes deviennent ainsi des lieux où hommes et femmes apprennent à jouer ensemble dans cette belle symphonie de la création, où chacun apporte sa voix à la louange du Seigneur.
Tirer profit de la complémentarité
Certes, le péché corrompt tout ce qu’il touche. Il n’est alors pas surprenant que la différence entre les sexes ait si souvent servi de prétexte à l’assujettissement. L’histoire de l’Église n’en est pas exempte, hélas ! En revanche, quelle richesse quand hommes et femmes savent collaborer sans esprit de rivalité. Quand on tire profit de la complémentarité des perspectives, sans d’un côté chercher à raboter les différences, ni de l’autre s’enfermer dans des clichés sur ce qu’est un « vrai » homme, ou une « vraie » femme. Ainsi, l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne a, dès sa fondation en 1921, formé ensemble des hommes et des femmes au ministère de la Parole. Une des filles du fondateur, Madeleine Blocher-Saillens, est même devenue la première femme pasteur de « plein exercice » du protestantisme français[4].
Qu’il me soit permis d’évoquer un souvenir personnel. Quand il m’a été proposé de participer à la direction de l’Institut, un collègue aîné m’a donné ce conseil : « Dirigez en tant que femme. » Bien qu’aux contours vagues, la recommandation m’a incitée à trouver « mon » style : à ne pas imiter des modèles d’hommes, ou encore me situer dans un genre prétendument neutre, mais à habiter pleinement ma féminité aussi dans le cadre de mes responsabilités de direction.
Dans divers textes bibliques, la relation entre mari et femme sert d’analogie à la relation entre le Seigneur et son peuple, entre le Christ et son Église[5]. Ainsi, le rapport homme-femme devient symbole du rapport entre le Créateur et sa créature. Il fait penser à un tableau sur lequel le peintre se représente lui-même en train de peindre le tableau en question : Dieu a placé à l'intérieur de la création une image de la relation qui lie le monde à lui. Comme la femme est l’autre pour l’homme, la créature est placée devant Dieu. Pour citer encore une fois Barth : « Le “je” qui interpelle au sein de l’essence divine est au “tu” divin qu’il interpelle, comme Dieu est à l’être humain créé par lui, et comme… l’homme à la femme, au sein de l’existence humaine elle-même[6]. »
Quel beau script à mettre en œuvre ensemble, femmes et hommes réconciliés avec leur Créateur et les uns avec les autres !
Lydia Jaeger, professeure et conseillère académique au développement pédagogique à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne, membre fondateur du Réseau des scientifiques évangéliques.
[1] Karl Barth, Dogmatique, III, 1, Genève, Labor et Fides, 1960, p. 198.
[2] Genèse 1.31.
[3] Ainsi dans le discours d'Aristophane, dans le Banquet de Platon.
[4] Madeleine Blocher-Saillens, féministe et fondamentaliste, extraits de son journal établis et annotés par Jacques-E. Blocher, Charols, Excelsis, 2014.
[5] Ésaïe 54 ou Éphésiens 5.31-32, par exemple.
[6] Karl Barth, op. cit., p. 209.
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