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Un extrait de Proteste 171 : Les crises sont une chance !

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Jean-Luc Bernaud est professeur des universités en psychologie au CNAM1 de Paris. Président de l’Association française de psychologie existentielle (AFPE), il mène des recherches en lien avec cette discipline pour accompagner au changement des personnes dans des transitions de vie.

Jean-Luc Bernaud, la psychologie existentielle est-elle une discipline nouvelle ?

La psychologie existentielle épouse l’histoire de la psychologie, dont les fondements ont à peu près un siècle. Elle a connu un essor après-guerre et s’est vraiment structurée au xxie siècle avec des protocoles de recherche rigoureux et un développement des pratiques d’accompagnement. Elle est donc ancienne, même si, en France, on connaît beaucoup plus la psychanalyse, la psychologie humaniste ou le coaching.

Quelles sont les spécificités de la psychologie existentielle ?

La psychologie existentielle est arrimée à la philosophie existentialiste. Elle présente une grande cohérence dans sa façon de formuler ses hypothèses et ses postulats. L’un d’eux est que l’existence humaine n’est pas choisie mais subie, nous sommes « des êtres jetés au monde2 ». Chacun doit assumer son existence, s’ajuster à son environnement, composer avec sa liberté et les contraintes de la vie, et réaliser des choix éclairés en suivant ses propres modèles : la religion, la culture, ses convictions…

" Chacun va devoir construire du sens. "

 

La psychologie existentielle invite à prendre du recul face aux grandes questions comme le rapport à la liberté ou à la mort, le sens de la vie et du travail, la solitude, l’authenticité, la spiritualité… Elle est aussi très pratique. Alors que de nombreuses approches sont centrées sur l’individu, elle prône le « vivre parmi les autres ». Chacun va devoir construire du sens tout au long de sa vie et les crises sont une chance : confrontés à des enjeux stimulants, nous apprenons à cultiver l’autonomie.

Devrions-nous dès lors nous réjouir des crises ?

Le mot « crise » vient du grec krisis, dont la connotation n’est pas négative, car il suppose de prendre des décisions. Nous vivons tous des crises à des degrés divers. Elles jalonnent notre existence et nous obligent à nous poser des questions, à faire des choix, à convoquer notre éthique, nos expériences, à interroger notre rapport aux autres, à bifurquer. La crise est le signal que quelque chose se passe. La crise, c’est la vie !

A fortiori si on la met au travail. Vivre une crise, c’est extraordinairement banal ; ce qui est important, c’est la manière dont on s’en empare. La crise peut être considérée comme une occasion de croissance, pour soi et pour les autres.

La crise nous aide-t-elle à (re)définir notre essentiel ?

Quand une personne est perdue, tourne en rond, son sens du discernement est altéré. Elle n’arrive plus à repérer ce qui est prioritaire. Il est alors utile de travailler sur ses valeurs et ses buts de vie. De nombreuses publications montrent l’importance des buts de vie sur la santé physique et mentale et la longévité. Si vous avez des buts de vie élevés, vous gagnez huit ans d’espérance de vie !

Les buts de vie, avec leurs caps et leurs échéances, nous obligent à cultiver l’essentiel, ce qui est vraiment important, ce sur quoi nous allons miser pendant des années. Quelquefois, nous sommes amenés à revisiter ces buts : on avait prévu de grimper le Kilimandjaro et finalement on fait le mont Blanc, mais ce n’est pas grave. Le plus important, c’est le chemin : c’est ce que nous parcourons qui nous fait grandir.

Quelle relation la psychologie existentielle entretient-elle avec la spiritualité ?

Pendant très longtemps, la spiritualité a été considérée sous l’angle religieux, mais elle est plus large. Elle inclut notre capacité à interagir avec le monde, qui englobe la connexion avec soi-même, avec les autres, et avec le transcendant, l’invisible, ce qui va nous émerveiller. La soif de spiritualité est extrêmement forte et très corrélée au bien-être. Elle est considérée comme une ressource adaptative vertueuse. Elle n’est pas un enfermement mais une ouverture au monde et à soi. Il existe différentes déclinaisons, qui ne sont pas concurrentielles, de la spiritualité. Chacun trouve la voie qui lui convient.

Peut-on traverser sa vie sans questionner son essentiel ?

Oui, et il y a une explication existentielle : le concept de dévalement. Pour affronter ce que Kierkegaard appelle l’angoisse existentielle, beaucoup de personnes foncent dans la vie sans se poser de questions, et puis, souvent, un choc de vie amène à se demander : où est mon essentiel ? Pour revenir à l’essentiel, j’ai besoin de me dépouiller, de me débarrasser de tout ce qui est superflu, de ces prétendus facilitateurs liés au monde matériel qui m’éloignent de ce que j’ai au fond des tripes, de ce qui donne du sens à ma vie et m’éclaire pour que je puisse éclairer les autres. On convoque alors une forme de sagesse ; c’est très stimulant pour l’esprit et très beau d’un point de vue esthétique et éthique.

Propos recueillis par Brigitte Martin. 

Article extrait de la revue Proteste 171. Téléchargez l'article au format PDF.

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1 Conservatoire national des arts et métiers.

2 La formule est de Heidegger.