La Fondation Institut Protestant de Saverdun en Ariège accueille des mineurs non accompagnés (MECS), des adultes, des familles en difficulté au sein du pôle urgence et migrants (CADA, HU, HUDA). La MECS est implantée au milieu d’un vaste parc, avec des pelouses, une allée de pins parasols, des terrains de sport. Elle est organisée en 3 pavillons de 11 places et un de 18 places, où habitent des mineurs non accompagnés majoritairement entre 15 et 17 ans.
Jessica FAYDI est directrice de l’institut Protestant de Saverdun et participe au cercle Enfance-jeunesse de la FEP. Elle a bien voulu prendre le temps de nous décrire la vie des mineurs non accompagnés en période de confinement, les nécessaires adaptations du rythme de vie, le problème de la déscolarisation, de l’angoisse des examens, ainsi que le quotidien des familles en difficulté accueillies en diffus.
Bonjour Jessica, pouvez-vous nous décrire la situation sur le terrain ?
L’institut ne connaît aucun malade ni parmi les professionnels, ni parmi les usagers. Nous avons la chance d’être dans un département peu touché par la pandémie.
Depuis un mois, les jeunes de la MECS sont confinés par pavillon, où la vie collective s’organise avec travail scolaire le matin et détente, ateliers de jardinage, activités sportives ou d’arts plastiques l’après-midi. Les éducateurs ont fait un travail important de présentation des consignes et de l’organisation imposée aux jeunes. Je suis également allée rencontrer chaque groupe à plusieurs reprises pour appuyer cette démarche ; nous constatons que les jeunes respectent ces consignes.
Le suivi du travail scolaire est complexe à assurer car il y a beaucoup de niveaux différents, et l’accès aux plateformes numériques d’enseignement fonctionne mal ou pas du tout. Les jeunes sont en majorité en apprentissage avec une alternance : étant confinés collectivement, j’ai choisi de ne pas les autoriser à se rendre chez l’employeur, ces allers-retours auraient généré trop de contacts sociaux et donc de risques de propager le virus.
Les apprentis, qui sont hébergés individuellement en appartements diffus, se rendent sur leur lieu de travail dans les entreprises qui sont ouvertes s’agissant de métiers de bouche et/ou de la grande distribution.
Pour les familles en hébergement individuel diffus, les salariés ne se rendent plus au domicile, ils téléphonent. Cet accompagnement n’est pas adapté aux besoins des enfants qui ne sont plus scolarisés. A la maison, ils n’entendent plus le français. Ils sont privés déjà depuis 7 semaines de l’accompagnement scolaire proposé à l’école et également de celui proposé par l’Institut Protestant et cela va encore durer au moins 4 semaines…
Quelles sont les mesures mises en place, quelles relations avez-vous avec les partenaires ?
Pour la direction, les premières mesures prises ont consisté à garantir la sécurité de chaque personne, en organisant une vie collective pour la MECS et du télétravail. Puis, le travail n’a pas cessé car il a fallu s’adapter, organiser, expliquer, coordonner, cela a pris la forme de flashs infos, de notes de service, de soirées de prévention. En cette période troublée, angoissante qui demande des efforts inédits, les jeunes ont eu besoin de rencontrer la directrice pour échanger.
Je vous donne l’exemple du Ramadan qui va commencer bientôt. J’ai demandé un avis médical avant d’autoriser cette pratique : la privation d’aliments et d’hydratation en journée ne risquait-elle pas d’entraîner une fragilisation de la santé qui aurait pu rendre plus vulnérable au virus ? C’est après avoir pris conseil que j’ai adressé une note de service pour autoriser la pratique du jeûne, avec cette année la possibilité pour chaque jeune de l’interrompre si le besoin s’en faisait sentir.
Depuis le début du confinement, j’ai dû travailler 7 jours sur 7.
Depuis peu, nous avons des masques en tissu que l’on peut porter pendant 4 heures, lavables 15 fois au maximum, 4 pour chaque professionnel.
J’ai trouvé de l’écoute auprès de la préfecture de l’Ariège et de la DDCSPP. Le maire de Saverdun est également médecin. Il va assurer une matinée de soins par semaine sur place à l’internat.
L’institut Protestant a été sollicité pour ouvrir un centre de desserrement départemental de 6 places : il va ouvrir un centre pour des personnes malades du COVID-19, sans domicile, ne nécessitant pas une hospitalisation ou qui quittent l’hôpital. Elles seront accueillies pour un séjour de quarantaine de 14 jours avec un suivi médical et un accompagnement social.
Nous avons également été sollicités pour des personnes qui sortent de détention mais nous ne donnons pas suite, dans l’immédiat, puisqu’il s’agit de mise à l’abri de droit commun.
Quelles sont les difficultés rencontrées avec la prolongation du confinement ?
Tout d’abord, un sentiment de ras-le-bol partagé par tous nos jeunes, malgré le fait qu’ils soient vraiment très respectueux des consignes et coopérant de façon sympathique. Les jeunes n’arrivent pas à se projeter pour le passage de leurs examens, et cela génère de l’angoisse.
Les professionnels commencent à réfléchir pour envisager les mois d’été. Il est probable (certain ?) que tous resteront sur le site sans possibilité de départ en séjours collectifs, ni en transfert. Nous devrons innover pour inventer des vacances peut-être avec l’achat d’une piscine.
Les démarches administratives sont gelées auprès de la préfecture et des ambassades parisiennes. Il y aura une embolisation ; or, nous avions plusieurs démarches prévues.
D’autre part, nous avons plusieurs contrats jeunes majeurs pour lesquels l’accompagnement a été retardé, voire suspendu (accès à un logement, à un emploi) et donc non abouti. Il va falloir reprendre des négociations avec les services du département.
Enfin, même plongée dans un quotidien prenant, j’ai régulièrement des pensées pour les établissements qui doivent faire face à la maladie, qui connaissent une adversité plus sévère que celle que nous vivons à Saverdun.
Propos recueillis par Nina de Lignerolles, secrétaire régionale FEP Sud-Ouest