En 2015, on estimait à environ 90 000 le nombre de mineurs non accompagnés[1] présents (appelés auparavant mineurs isolés étrangers) en Europe. Fuyant la guerre ou la misère, ces jeunes ont été contraints à l’exil, ont voyagé seuls et été exposés à des dangers avant d’atteindre l’Europe où ils se retrouvent dans une situation d’errance.
En France, ils représentent une population peu visible et dont le nombre est mal connu (10 000 mineurs non accompagnés en métropole). Ils vivent dans une situation de précarité et de vulnérabilité liée à des conditions d’accueil et d’accompagnement inadaptées. Leur prise en charge par l’Etat via l’aide sociale à l’enfance, reste, aujourd’hui, en effet largement inégale selon les territoires (départements) et la question de l’évaluation de leur âge fait encore débat malgré des avancées récentes (loi du 16 mars 2016). Deux récits de vie suivants illustrent leur situation et leur vécu.
L’histoire de Nina : de sa fuite forcée du territoire à sa reconstruction spectaculaire
Nina est arrivée le 25 septembre 2015 à Grenoble, âgée de 15 ans. Nina vient d’Angola, elle a dû quitter son pays à cause de ses relations avec son père. Après le décès de sa mère, elle se retrouvait dans une situation de mariage forcé avec son oncle. Cette situation a été très difficile car ce mariage forcé inclus le viol par cet oncle. Pour entrer en France et passer les frontières, Nina a dû utiliser un faux passeport la décrivant majeure, Elle a donc été enregistrée en tant que majeure. Ce qui explique le rejet de sa prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance le 11 janvier 2016.
Les mineurs non accompagnés sont considérés comme des enfants en danger et relèvent à ce titre de la protection de l’enfance (gérée par l’Aide sociale à l’enfance) applicable à tout mineur en danger, sans condition de nationalité. Les mineurs non accompagnés doivent cependant apporter la preuve de leur minorité alors qu’ils sont arrivés parfois avec un document d’état civil souvent contesté, et un passeport les vieillissant de plusieurs années. Si ils sont reconnus mineurs, ces jeunes sont pris en charge par l’ASE mais, si ils ne sont pas reconnus mineurs, ils ne sont pas pour autant déclarés majeurs. Ni mineurs, ni majeurs, ils ne peuvent donc pas faire valoir leurs droits.
Nina se retrouve alors sans aucun hébergement, ne parlant que quelques mots de français, ne connaissant personne. Elle a passé une première nuit dans une église qui l’a accueillie. Le lendemain matin elle s’est présentée au Secours catholique où elle a été accompagnée chez une avocate pour déposer un recours de la contestation de sa minorité. C’est ensuite à la demande du Secours catholique que Nina a été accueillie dans le réseau Esaïe et qu’elle a été scolarisée le mois même dans un établissement catholique.
Ils se retrouvent souvent à la rue faute de pouvoir d’accéder aux dispositifs de droit commun en matière d’hébergement et ne peuvent pas non plus bénéficier d’un accompagnement pour l’ouverture de leurs droits et pour être scolarisés. Alors même qu’ils ne sont pas en bonne santé physique et mentale, l’accès aux soins leur est particulièrement difficile. Ils doivent, dans ces conditions, alors s’arranger pour survire tout en étant exposés à des dangers et aux risques d’être victimes d'exploitation et de traite d’êtres humains.
C’est un bonheur de voir Nina aujourd’hui. Scolarisée dès son entrée dans le réseau Esaïe en janvier 2016, Nina a terminé normalement son année scolaire. Elle a intégré en septembre 2016 une section d’auxiliaire de vie, elle veut travailler auprès des personnes âgées. Elle a fait plusieurs stages où elle a été très appréciée. Programmer les hébergements de Nina dans les familles d’accueil ne pose aucun problème : les familles se « disputent» pour l’accueillir. Aujourd’hui, elle est joyeuse, confiante dans l’avenir, semblable à n’importe quelle autre adolescente/ étudiante.
Si, à leur majorité, ils pourront demander l’asile, il se peut que leur demande soit placée en procédure accélérée car certaines préfectures considèrent leur demande comme frauduleuse (ils ont menti sur leur âge). Aussi, dans un an, à sa majorité, Nina aura-t-elle un titre de séjour ?
L’Histoire de Georges : de sa fuite à son intégration
Georges a fui le Congo Kinshasa suite au massacre de sa famille opposante au régime. Il arrive en juillet 2013 à Grenoble, il est déclaré majeur en décembre de la même année, se retrouve à la rue et tombe malade.
Ces jeunes sont partis de leur pays d’origine pour fuir des persécutions du fait de leur appartenance sociale, religieuse ou ethnique. Ils peuvent aussi fuir la misère ou encore, un contexte familial trop douloureux. Arrivés au France au prix de nombreux sacrifices et de risques, ils ont, pour eux même ou pour leurs proches restés au pays, le devoir immense de réussir.
Opéré d’urgence fin décembre d’une appendicite aiguë, il reste 4 jours à l’hôpital et va au Secours catholique, qui demande au réseau Esaïe de l’héberger. En janvier, il entre dans le réseau, est scolarisé dans un lycée en section réglage de machines-outils industrielles, et il est même admis en internat. Il passe donc tous les WE et vacances dans les familles. En juin 2015, il passe son CAP. Excellent élève, ses professeurs demandent au réseau de lui permettre de passer son bac pro.
Ils un fort désir de socialiser, d’étudier, de s’insérer dans leur pays d’accueil. Mais ceci n’est possible que s’ils peuvent vivre décemment et dans un cadre sécurisant qui leur permettra de retrouver pleinement une stabilité et une autonomie.
Il a en parallèle déposé une demande d’asile qui a été classée en procédure prioritaire, il ne peut donc pas encore mettre à profit sa formation. Que va-t-il faire ? En août 2015 il est admis en HUDA. Il entre donc en septembre 2015 en première année de bac pro, c’est difficile, mais il s’acharne et passe en 2° année. En août 2016, débouté par l’OFPRA, il fait un recours auprès de la CNDA, mais se retrouve à la rue. En septembre 2016, le lycée le reprend en internat et le réseau Esaïe décide d’en assumer le coût.
Leur déception est parfois grande d'avoir franchi tant d'obstacles pour être exclus de tout mais ils s’accrochent car ils ne peuvent repartir. Ne pas les prendre en charge est contreproductif. L’espoir leur permet de tenir bon mais à quel prix ? Ils vivront de combines, se marginaliseront et ne pourront connaitre nos codes et nos lois.
Georges a trouvé des amis pour l’héberger les WE et vacances. Georges va passer son bac pro. En mars 2017, la CNDA lui reconnaît le statut de réfugié. Sérieux, intelligent, dégourdi, il a de bonnes chances de s’intégrer, de trouver du travail. Certes, cela ne va pas être facile, mais après ces années de galère, c’est pour lui, la dernière ligne droite. Il vient de bénéficier d’une mesure d’accompagnement social !
Anne-Marie Cauzid,
Présidente de la commission Accueil de l’étranger de la FEP
[1] Selon la définition du Haut-Commissariat des Nations unis pour les Réfugiés (UNHCR), "un enfant non accompagné est une personne âgée de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable, qui est séparé de ses deux parents et n’est pas pris en charge par un adulte ayant, de par la loi ou la coutume, la responsabilité de le faire."