Les déboutés du droit d’asile sont environ 40 000 chaque année et font aujourd’hui l’objet d’une attention de plus en plus forte de la part des pouvoirs public en raison de leur irrégularité sur le territoire. Ils deviennent déboutés après que leur demande d’asile a été rejetée par la Cour nationale du droit d’asile. Ils sont alors sans papiers et sans droit réels. Ils sont les premiers à faire les frais de la saturation des dispositifs d’hébergement et de la politique d’éloignement du territoire.
Un récit de vie illustre la complexité de la situation des déboutés
Humilié, torturé dans son pays, rejeté par ses compatriotes du fait d’une double ascendance arménienne et azérie, Jules (Nom changé) est arrivé en France en décembre 2009, il ne parlait pas un mot de français. Quelques jours après, il dépose une demande d‘asile classée en procédure prioritaire au regard de sa nationalité arménienne. En avril 2010 sa demande est rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et en juin 2011 par la Cour nationale du droit d’asile. En décembre 2011, suite à un contrôle policier, il se retrouve en centre de rétention à Lyon, d’où il ressortira momentanément brisé. Il recevra en tout 3 OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) successives… Il obtiendra finalement un titre de séjour «vie privée familiale» avec autorisation de travailler en juillet 2014.Ils arrivent en France pleins d’espoir !
Après tout ce qu’ils ont vécu, la traque, la fuite, la peur, la séparation, le déchirement.... ils vont pouvoir se poser. Ils attendent beaucoup de leur venue en France et espèrent que raconter leur histoire leur permettrait de se faire comprendre et d’être entendu. Mais les difficultés s’enchaînent : obtenir un rendez-vous à la préfecture, une place en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) ou en Hébergement d’Urgence pour Demandeurs d’Asile (HUDA), déposer le dossier de demande d’asile, attendre, attendre, attendre… Certains obtiennent le statut de réfugié certes, autour de 35 % selon les années, mais pour les autres, c’est le rejet par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), puis par la CNDA (Cour Nationale des Demandeurs d’Asile) … et la mesure d’éloignement du territoire français, accompagnée de la perte de l’hébergement et des aides sociales.
Vivre dans l’ombre (suite du récit)
Après presque 2 années de rue, en mars 2011, il est hébergé dans le réseau Esaïe du Diaconat protestant de Grenoble (Le réseau Esaïe, réseau de familles d’accueil, organise l’accueil et le passage d’un foyer à l’autre de personnes déboutées du droit d’asile, en attente d’une décision de la préfecture concernant leur demande d’un titre de séjour. Ce réseau accueille aussi les séjours de mineurs isolés non accompagnés) où il restera jusqu’en décembre 2012. Il est accueilli successivement dans les 15 familles qui composent alors le réseau. Toutes l’ont apprécié, toutes ont pu constater la dégradation de sa santé au fil du temps : maux de tête, maux de ventre, anorexie, agitation ou accablement...
La vie au quotidien devient un véritable enfer quand il s’agit de trouver un logement ou de faire une énième demande de régularisation auprès de la préfecture et se la voir refuser. Ce véritable parcours du combattant dure des années, ponctuées de longues périodes de débrouille et de survie à éviter, souvent, les contrôles et le risque de se retrouver en Centre de détention administrative (CRA) avec un renvoi à la clef. L’aide juridique d’association comme la Cimade, le recours auprès du tribunal du lieu de rétention, qui confirme la mesure d’éloignement précédente ou pas … mais qui vous relâche, ou pas… pour retomber de nouveau dans la suspicion et à la rue. Un parcours parfois sans fin.
Et au final, un titre de séjour ?
Il se marie le 31/08/2013, avec une jeune femme de la même nationalité que lui, mais arrivée en France avec sa famille 16 ans auparavant. Ne trouvant pas de travail, il passe son permis de conduire et, fin 2014, lui et son épouse, montent une entreprise de déménagement en louant un camion à chaque mission. Aujourd’hui, ils viennent d’acheter un 2° camion, ils ont embauché 3 personnes, et attendent leur 2° enfant. Jules rayonne, il n’a plus aucun problème de santé.
Un parcours qui démontre s’il en était besoin, quelle précieuse contribution peut apporter les étrangers à la vie de ce pays.
Quelles questions qui nous viennent à la lecture des épisodes de ce récit n’a-t-on pas cherché à dissuader ou à exclure par les contrôles, la discrimination, le découragement, l’abandon et la précarité ? N’a-t-on pas, par la même, ajouté de la violence à la violence ?
Anne-Marie Cauzid,
Présidente de la commission Accueil de l’étranger de la FEP