30.10.2014
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Lors des déplacements des gens du voyage, on assiste souvent à une confrontation plus ou moins marquée entre nomades et sédentaires avec tout ce que cela véhicule d’a priori de part et d’autre, de méfiances et d’histoires ancestrales. Le style de vie nomade est souvent incompris, sauf dans sa version touristique au moment des transhumances de l’été.
Tous les ans, lors de la dernière semaine d’août, des milliers de caravanes convergent vers le lieu de la Convention des gens du voyage de l’Église évangélique Vie et Lumière. Cette année, ce sont 14.000 caravanes qui se sont rassemblées sur un terrain militaire à côté de la ville de Chaumont dans l’est. Cet afflux génère généralement la crainte des populations locales sédentaires.
Les gens du voyage rassemblés à Chaumont sont pour la plupart des semi-sédentaires, c’est-à-dire qu’ils possèdent une maison et un terrain sur lequel est posée leur caravane. L’appel de la route au début du printemps les conduit à partir avec toute leur famille jusqu’à l’automne. Seulement 15% des personnes rassemblées à Chaumont n’ont que leur caravane comme seule habitation.
Ils voyagent par nécessité existentielle comme si leur propre histoire ne pouvait se réaliser que sur la route : petits ils voyageaient avec leurs parents, ils ont grandi non sur un espace défi ni mais sur un trajet et surtout sur les rencontres que le déplacement implique, vivre avec la famille étendue, avec le clan, avec les personnes que l’on retrouve années après années.
Le nomadisme : un style de vie
Contrairement à une conception un peu romantique du nomadisme, ils ne se déplacent pas au hasard de leur désir, la fleur à la bouche pour saisir l’opportunité qui se présenterait sur le chemin, comme l’entendait Flaubert dans sa lettre à Georges Sand de 1867 sur les Bohémiens, où l’auteur de l’Éducation sentimentale les comparait aux figures du philosophe, du poète, du solitaire. La vie nomade n’est pas une insouciance intellectuelle choisie, ni une réaction idéologique contre la société sédentaire.
Ils sont pour la plupart pleinement intégrés à cette société, leurs enfants sont scolarisés le temps de leur période sédentaire, ils payent les impôts et les taxes comme chaque citoyen. Certains se déplacent par nécessité économique pour aller à la recherche d’autres marchés et clients quand ils travaillent dans les métiers du bâtiment, pour vendre sur les marchés d’été quand ils sont commerçants, pour aller à la recherche du public quand ils sont forains.
La caravane, une « maison qui bouge »
Tous disent leur volonté de ne pas chercher à se sédentariser définitivement même s’ils avaient l’opportunité d’un travail fi xe à plein temps. L’immobilité les angoisse plus que tout, ils ont besoin de savoir qu’ils peuvent repartir à tout moment. « Parfois l’hiver je vais dormir dans ma caravane qui est dans mon jardin, me dit Alban, juste pour sentir l’air frais du dehors même si je ne bouge pas ». La caravane est une maison que l’on investit au même titre que « l’habitation en dure », qui n’est jamais appelée « habitation principale ». La caravane possède souvent tous les éléments de confort nécessaire et n’est donc de loin pas un lieu d’habitation volontairement précaire mais simplement « une maison qui bouge ».
Quand ils me parlent de leurs déplacements, ils évoquent surtout le lieu où ils arrivent et pas les paysages de la route comme si le trajet ne comptait pas ou comme si chaque route était identique. Leur nomadisme est en fait une série de points, pas un entrelacs de lignes.
Le nomadisme depuis Abel heurte la société sédentaire. Et l’incursion dans un territoire d’une population de passage perturbe le sens que nous avons de l’installation car pour les sédentaires, l’habitat provisoire ne peut être le fait que d’une activité de loisir. Celui qui n’est pas centré en un lieu n’est justement pas cernable et cette instabilité géographique angoisse l’autre plus immobile.
Brice Deymié
Pasteur de l’Eglise protestante unie et aumônier national des prisons
Source : Dossier "Un lieu où (s')habiter", Proteste n°139, septembre 2014