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L’hébergement, un outil de contrôle social ?

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Personnes âgées dépendantes, personnes sans domicile, demandeurs d’asile… quel est leur point commun ? Le fait de se voir imposer un hébergement, et non de le choisir. Cette mise sous contrainte soulève de nombreuses questions d’ordre éthique.

Ginette, 92 ans, vit dans une masure d’une saleté effarante avec de gigantesques ulcères de jambe. Après de multiples tentatives infructueuses de nettoyage, portage de repas et soins au domicile, les services médico-sociaux de la mairie considèrent que ses conditions de vie sont indignes et la placent, contre son gré, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
Une maraude de nuit par grand froid réveille un homme réfugié dans une encoignure fermée par des cartons pour l’emmener passer la nuit en centre d’hébergement collectif.
Des gens du voyage obtiennent droit à résidence et domiciliation dans un village du centre de la France, moyennant scolarisation obligatoire des enfants recensés, surveillance sanitaire, sociale et policière.
Ce jeune réfugié syrien est assigné à résidence en tant que demandeur d’asile.
Toutes ces personnes, pour des raisons diverses, se trouvent en situation d’hébergement non choisi, voire contraint.

Dignité des personnes et normalisation sociale
Accompagner les personnes en difficulté vers une vie bonne, hygiénique, sécurisante, matériellement assurée en vue de l’insertion est bien entendu un objectif louable. Mais peut-on voler au secours d’autrui en lui imposant un toit ? Si la volonté de la personne n’est pas respectée ou prise en compte tout du moins, on se figure mal comment la perspective de son insertion sociale ou de son épanouissement en général pourrait réussir. Par contre, on peut légitimement se poser la question de savoir si ces hébergements « contraints » sont moins une réponse à des situations individuelles qu’à une demande sociale cherchant à se déculpabiliser, à prévenir à tout prix les situations d’exclusion ou encore à contrôler les personnes à la marge, volontiers accusées de méfaits sur leur passage. Serions-nous entrés dans une politique du « socialement correct » ? Les intentions sont souvent mêlées… encore faut-il les préciser et les évaluer.
Ce conflit entre la dignité des personnes et le besoin sociétal de « normalisation » des personnes se ressent sur le terrain, dans nos lieux d’accueil et d’hébergement. Des réponses aux situations d’exclusion sont proposées, financées, mais elles sont trop souvent partielles et sectorisées. Ce qui empêche d’accompagner la globalité de la personne, par exemple en l’hébergeant la nuit et en la remettant à la rue le jour, ou encore en n’ayant pas les moyens suffisants de mettre en oeuvre un accompagnement continu. Et si l’accompagnement social est bien prévu, comment faire pour qu’il ne soit pas une condition à l’hébergement mais bien le fait d’une vraie sollicitude ?

« Droits à » et « Droit de »
On le sait, le cadre collectif et ses contraintes ménagent difficilement la liberté individuelle. Sous prétexte du « vivre ensemble », il arrive qu’on fasse peu de cas de l’individu, imposant à ce dernier des aidants, des soignants, des horaires, une hygiène et des repas considérés comme « normaux ».
Pour des personnes nomades ou réfugiées, des lieux de résidence sont bien sûr nécessaires. Mais prend-on suffisamment la peine de les faire adhérer à un projet d’insertion, faisant de ce toit un tremplin autant qu’un lieu de droit ? À moins que les seules logiques de contrôle social et de justification des coûts financiers ne priment…
Il conviendrait donc, pour agir réellement dans l’intérêt du « bénéficiaire », de s’assurer que l’ouverture de « droits à » (un toit, une adresse permettant une aide sociale, une assistance juridictionnelle…) respecte le « droit de » conserver une certaine autonomie, une liberté de circuler…
Autrement dit, qu’à l’exemple de tout citoyen, ces personnes-là ne soient pas sous contrôle social mais bénéficient bien d’une assistance sociale.

 

Nadine Davous
Administratrice des Foyers Matter

Source : Dossier "Un lieu où (s')habiter", Proteste n°139, septembre 2014