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Le fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête (*)

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Une des grandes questions qui a traversé l’histoire d’Israël était de savoir si Dieu avait un endroit où habiter. D’abord « affecté » à des lieux concrets puis à un texte immuable, il a ensuite été associé, avec le christianisme, à une parole en mouvement.

Dieu a habité une tente et une arche au moment de la période nomade, puis un temple qu’on lui a construit à Jérusalem.
Le peuple est parti en exil, loin de Jérusalem et loin de la présence de Dieu dans le Temple. Certains prophètes se sont demandé si Dieu était en exil avec eux car le Temple détruit par les envahisseurs n’avait pas pu détruire Dieu lui-même. Au retour d’Exil en 520 avant notre ère, le peuple ne se précipite pas pour reconstruire la maison de Dieu et les prophètes s’interrogent sur le manque de zèle à donner un toit à Dieu. Le Temple est finalement péniblement reconstruit mais la théologie a changé, de plus en plus de juifs vivant en dehors d’Israël. Des penseurs et des théologiens suggèrent alors que Dieu est peut-être plus présent dans le texte de la Bible que dans la pierre.

Errer plutôt qu’habiter
Quelques centaines d’années plus tard, Jésus-Christ va fortement critiquer l’institution qu’est le Temple et ceux qui sont chargés de le faire fonctionner. Il va opposer à cette religiosité du toit une foi plus dynamique centrée non sur un lieu ou sur un texte immuable, mais sur une parole en mouvement qui ne se laisse enfermer dans aucune idéologie définie.
Ainsi dans le passage biblique dont il est question ici, quelqu’un qui a vu Jésus opérer des miracles souhaite le suivre. Jésus l’informe qu’à sa suite il n’y aura jamais de lieu « où reposer sa tête », voulant dire par là qu’il n’établit pas un nouveau système mais transforme les certitudes en précarité choisie. Il utilise pour cela la métaphore de l’habitation, pas dans sa version humaine mais dans sa version animale : « les renards ont des terriers et les oiseaux du ciel des nids ; le fils de l’homme, lui, n’a pas où poser sa tête. » Dans ces errements volontaires et appuyés, l’auteur de l’évangile souhaite indiquer à ses lecteurs que l’ultime destination de Jésus est le drame de la croix et non une quelconque destination terrestre, fut elle celle de la vulnérabilité d’un terrier. Un autre, qui était un des disciples, souhaite suivre Jésus mais avant il lui demande simplement de lui permettre « d’aller d’abord enterrer son père ». La réponse de Jésus est brutale et sans appel : «laisse les morts enterrer les morts et toi suis-moi ». Dans le judaïsme palestinien, la piété filiale, fondée sur le 5ème commandement du Décalogue, faisait un devoir absolu aux enfants de pourvoir aux funérailles de leurs parents. L’appel de Jésus est une exigence encore plus urgente que les devoirs funéraires.

« Notre père était un Araméen nomade »
Si à la suite de ce texte nous regardons l’histoire du christianisme depuis 2000 ans, nous pouvons avoir le vertige devant tant de cathédrales, d’Églises, de mausolées construits au nom du Christ. Nous pouvons être sidérés des pèlerinages et des dévotions rendus aux tombeaux des saints… Et, même dans notre protestantisme français, que penser des vieilles pierres que nous vénérons au Musée du Désert ?
Le Christ nous demande d’être à sa suite des nomades spirituels et nous, nous souhaitons avant tout localiser notre foi en un lieu rassurant et édifiant. Certes, je ne crois pas non plus qu’il faille prendre ce texte au pied de la lettre. La sédentarisation historique du christianisme était une chose nécessaire bien que problématique (cela nécessiterait un bien plus long développement que le cadre de cet article). Mais avant de couler quelque chose dans le bronze ou de graver quelques vérités dans la pierre, il faudrait se rappeler, comme les juifs, que « notre père était un Araméen nomade ». Notre piété retrouvera alors l’urgence et l’inconfort messianique désirés par le Christ, et une religion inconfortable se fait certainement moins péremptoire et donneuse de leçon.

(*) Matthieu 8, 20

 

Brice Deymié
Pasteur de l’Église protestante unie et aumônier national des prisons

Source : Graine de sel, Proteste n°139, septembre 2014